“sur scène, on est dans un état d’hyper-sensibilité proche de la paranoïa, à la fois tout puissant et complètement fragile”
Isabelle Huppert
qui rejoint sans s’y confondre l’invention. Je pensais aussi à ce que tu disais sur l’intelligence qu’on prête à une salle quand on est sur scène. C’est évidemment une construction. C’est de l’ordre du ressenti. Comme le temps réel et le temps ressenti qui n’ont souvent rien à voir, l’humeur d’une salle telle qu’on la ressent n’a pas grand-chose à voir avec la perception réelle qu’ont les spectateurs du spectacle. Sur scène, on nourrit des fantasmes sur la salle, on se dit : ‘Ils rient pas assez, ils rient trop, ils toussent trop…’ Et puis, quand vient le moment des applaudissements, on peut être très surpris. Parfois, l’accueil ne correspond pas du tout à l’idée qu’on s’en faisait au moment où on jouait. Sur scène, on est dans un état d’hypersensibilité proche de la paranoïa, à la fois tout puissant et complètement fragile.
Vous pensez donc en permanence à la perception du public pendant que vous jouez ?
Isabelle Huppert –
Oui, jusqu’à un certain point. On y pense, ou plutôt on ressent des vibrations… Et en même temps c’est lointain. Il y a une formule de Grotowski (metteur en scène polonais décédé en 1999 – ndlr) que je ressors souvent et que j’adore : “Jouer, ce n’est pas une affaire entre soi et le public. Ce n’est pas une affaire entre soi et son partenaire. Ce n’est même pas une affaire entre soi et soi. Mais c’est une affaire entre soi et quelque chose de très mystérieux au-dessus de soi.” C’est une définition extraordinaire. On ne saurait mieux dire.
Oui, c’est génial. Ça rend bien compte sensuellement de ce qu’on ressent sur scène. Et au cinéma aussi d’ailleurs.
Evidemment, ce n’est vrai qu’à un certain niveau. Car on sait bien que jouer, c’est d’abord jouer avec. Les partenaires sont essentiels. Mais on peut jouer avec à la fois ceux qui sont sur le plateau avec vous, et aussi avec cette instance mystérieuse au-dessus de nous.
Nicolas Maury –
Isabelle Huppert –
Attendez-vous une parole du metteur en scène, au cinéma comme au théâtre, après chaque prise ou chaque bout de répétition ?
Nicolas Maury –
Quand quelque chose a lieu, qu’aussitôt après on vienne vous dire pourquoi