“ce que j’essaie de leur enseigner avant tout, c’est la langue. Un type qui a réussi à développer son style, c’est gagné”
Philippe Djian
et piètre pédagogue… Les élèves sont unanimes, presque étonnés de la question, comme si elle ne se posait pas. Ils ne cachent pas leur admiration pour celui qui les forme à devenir des écrivains. “Il est très attentif à ce qu’on fait, sans pour autant essayer de nous imposer quoi que ce soit”, se réjouit Anne. Certains aimeraient poursuivre l’expérience une autre année encore (le fameux “atelier trois” qu’ils espèrent convaincre leur prof de concevoir pour eux). Olivier dit apprécier qu’il soit “à la fois bienveillant et sans concession”. Quadragénaire, père de quatre enfants, ce chef d’une petite entreprise fait tous les mois le trajet depuis Arles. Il se lève à cinq heures du matin, prend son train, dort sur place. Rien ne lui ferait rater un cours, lui qui lit l’auteur d’Oh ! depuis l’adolescence. Il confie avoir déjà écrit plusieurs romans, qu’il n’a jamais osé envoyer à un éditeur. Désormais, il y songe. “C’est comme un rêve d’enfant que je peux enfin réaliser.”
Chacun a ses raisons d’assister à ces ateliers – lancés par Gallimard depuis 2012, et dont les profs sont des écrivains
(Jean-Marie Laclavetine, Camille Laurens, Hédi Kaddour, etc.) –, qui coûtent la somme non négligeable de 1 500 euros pour l’année. François, journaliste, affirme que l’écriture de Philippe Djian l’a libéré de ses angoisses et a fait de lui un autre homme. Il a accroché au-dessus de son bureau la devise qui leur fut enseignée lors du premier cours : “Montre, ne dis pas.” Certains sont déjà écrivains, comme cet auteur de polar, inscrit dans l’autre cours que Djian donne à Genève, qui veut perfectionner son style. “Le risque, évidemment, c’est de faire du sous-Djian,” prévient Olivier. Mais Djian professeur y veille – et a d’ailleurs préféré ne pas prendre dans son atelier une personne dont l’attitude ressemblait trop à celle du fan. S’il a accepté de nous recevoir aujourd’hui (tout en précisant avoir décliné plusieurs demandes similaires), c’est parce qu’il en avait marre. Marre de ce dédain affiché, en France, par ceux qui ne connaissent rien aux creative writings, pourtant enseignés dans les universités américaines. Ces classes préparatoires, ces universités où on enseigne la théorie, jamais la pratique de la littérature. “Dans ce pays, on prétend que l’écriture, ça ne s’apprend pas, s’emporte le romancier. Regardez les Américains : les meilleurs écrivains ont souvent été les élèves de leurs maîtres !” Parmi les difficultés majeures rencontrées par ses élèves, il cite les dialogues : “Un dialogue, c’est un art en tant que tel. Ça doit être parfaitement inutile. Au début, on a tendance à écrire les dialogues comme des scénaristes, pour expliquer quelque chose.” Comme conseils de lectures, il cite William Gaddis pour le monologue intérieur et Raymond Carver “pour comprendre que les histoires, on n’en a pas besoin. Je préfère une histoire bien écrite et mal ficelée que l’inverse. L’important, ce que j’essaie de leur enseigner avant tout, c’est la langue. Un type qui a réussi à développer son style, c’est gagné.”
Ses cours ont pour titre une formule énigmatique : “Marcher sur la queue du tigre (réveiller ce qui est endormi)”. Quand on l’interroge sur son sens, il raconte l’épisode de cette femme bon chic bon genre, tombée en larmes lors d’un de ses ateliers. Elle ne comprenait pas pourquoi elle n’y arrivait pas, ne supportait plus les critiques. “Si tu rentres en littérature, tu risques de vivre une expérience merveilleuse, mais qui peut se révéler dangereuse. Tu vas devoir te confronter à toi.” A la fin de l’année, les éditions Gallimard publient un livret des textes écrits lors de ces ateliers. Djian fait même passer certains projets particulièrement réussis au comité de lecture de sa maison d’édition…
1. ateliersdelanrf.fr