Une genèse et une renaissance
Sorti la semaine dernière, Terminator Genisys réussit de façon alerte et enjouée à relire finement tous les grands tropes d’un des mythes les plus forts du cinéma américain de ces trente dernières années.
des pères et des fils Une des grandes affaires de la série Terminator aura été de déplier sous toutes ses facettes un fantasme enfantin de base : celui de l’autoengendrement. Le complexe de John Connor consiste à être en situation de caster son propre père. Adulte, il va former un jeune homme, Kyle, immiscer en lui du désir pour celle qui fut, dans un autre monde (avant le règne des machines), sa mère. Puis il va envoyer ce fils spirituel dans le passé pour qu’il couche avec sa mère, assurant par là-même sa naissance.
A ce scénario d’autoengendrement, les quatre premiers épisodes de Terminator conféraient des atours héroïques. Choisir puis éduquer son père biologique, organiser sa rencontre avec sa mère grâce à un voyage dans le temps, c’était la ruse suprême par laquelle John Connor assurait rien moins que la survie de l’humanité.
La première bonne idée de Terminator Genisys est de porter un regard ambivalent sur cette autogenèse. Le geste de John Connor est pointé comme une folie démiurgique, une tyrannie, et le film va réinjecter dans ce scénario de l’autoengendrement une bonne dose de ce vieux complexe d’OEdipe. Pour la première fois, la relation John/Kyle devient un affrontement oedipien, avec désir de parricide à la clé. Sauf qu’ici le fils qui se retourne vers le père est aussi (techniquement) son père. Aucun film de la série n’a autant joué de la réversibilité de ce lien (fils-tuteur, père putatif qui devient monstrueux, père biologique qui devient ado en crise oedipienne…) et fait de ce conflit de tragédie classique un motif de burlesque camp. des pixels et des hommes L’autre grande affaire de la série a été de documenter/commenter/mettre en scène les transformations techniques qui affectent le cinéma spectaculaire hollywoodien dans le dernier mouvement du XXe siècle : la révolution des effets spéciaux numériques. Les images se défont désormais de leur attache à la prise de vues réelle pour devenir une matière labile retouchée sans fin par ordinateur. Entre le Terminator 800 qui terrorisait le Los Angeles de 1984, colosse de ferraille qui dès qu’on l’écorchait laissait apparaître des boyaux métalliques, et le T1000 de Terminator 2 – Le jugement dernier robot en métal liquide protéiforme, miroir mobile promené sur le monde pour en épouser toutes les apparences, c’est
(1991),
1984 : des prothèses, du maquillage, du latex pour figurer un Schwarzy abîmé ( de
James Cameron) la grande bascule du cinéma américain dans l’ère des images virtuelles dont la série prend acte. Du mécanique au numérique, du T800 au T1000, James Cameron a su trouver la forme fictionnelle idoine pour raconter ce qui arrivait en son temps aux images.
Cette révolution consommée, ce règne des machines (dont se repaît le récit) n’ayant cessé d’asseoir sa domination dans la fabrication des films, comment chaque épisode de la série pouvait-il continuer à commenter le pedigree génétique des images à Hollywood ? Le beau film mésestimé de Jonathan Mostow, Terminator 3 – Le soulèvement des machines, qui tentait de réactiver la série en 2003, optait pour une stratégie réactive, à contre-courant du sens de l’évolution. A la digitalisation généralisée du cinéma de l’époque (post- Matrix), il tentait d’opposer un retour nostalgique à la matière solide, au cinéma d’explosifs et de tôle d’un John Carpenter, une tentative de réinjecter un peu de réalisme et de contact physique dans la grande déréalisation numérisée en marche. L’échec public du film solda la tentative.
Douze ans plus tard, Terminator Genisys choisit au contraire d’avancer d’un cran