Les Inrockuptibles

Manson superstar

A Los Angeles, les assassins aussi ont le sens de la mise en scène. Autour du personnage de Charles Manson, trois romanciers sondent la face infernale de l’Eden californie­n.

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Dans Vice caché, Thomas Pynchon voit en lui le fossoyeur des idéaux sixties – “Charles Manson et sa bande ont tout fait foirer pour tout le monde.” Perpétré à Beverly Hills une semaine avant le festival de Woodstock, l’assassinat de l’épouse de Roman Polanski par les disciples d’un gourou fou se prête effectivem­ent aux interpréta­tions métaphoriq­ues. Coïncidant avec la fin de l’utopie fleurie des années 1967/1969, l’irruption dans la conscience américaine d’une figure du mal telle que Charles Manson ne pouvait que fasciner analystes et écrivains – pour Madison Smartt Bell, rencontré lors de la publicatio­n de La Couleur de la nuit, “Manson a été le terroriste le plus efficace d’Amérique. Il n’a fait que six victimes, mais il a foutu une frousse monstre au pays tout entier, il a persuadé les gens que leurs enfants voulaient les tuer”. Charles Manson, un enfant ? Oui, mais l’enfant d’un lieu – la Californie hédoniste – où un même biotope pouvait favoriser l’émergence de doux poètes et de monstres assoiffés de sang. A moins que ce ne soit celle de monstres au ramage de poètes…

Aux yeux de la planète envieuse, le Los Angeles de 1969 est un paradis une oasis de cool dans un monde en guerre. Pour les stars du cinéma et du rock qui y résident, c’est également un lieu où tout s’échange et se monnaie – drogue, sexe, thérapies miracles. A la fois dealer, proxénète, songwriter, commensal du Beach Boy Dennis Wilson, théoricien de l’Apocalypse et habitué des pénitencie­rs, Charles Manson circule entre plusieurs univers. Sous la plume d’un trio de romanciers – John Kaye, Zachary Lazar et Madison Smartt Bell, respective­ment auteurs de The Dead Circus (2003), Sympathie pour le démon (2008) et La Couleur Charles Manson

vers 1969 de la nuit (2011) –, son parcours, son charisme et ses crimes interrogen­t l’image que la Californie a d’elle-même.

Dans The Dead Circus, un lupanar ayant pignon sur Hollywood Boulevard propose à ses riches clients de revivre l’assassinat de Sharon Tate, tandis que l’hypothétiq­ue existence d’un film de ces mêmes meurtres éveille les convoitise­s. Dans Sympathie pour le démon, le fait que Mick Jagger ait signé en 1969 la BO du Invocation of My Demon Brother de Kenneth Anger – film dans lequel le rôle de Lucifer est tenu par l’un des acolytes de Manson, Bobby Beausoleil – permet à Zachary Lazar d’orchestrer un système d’échos reliant les refrains des Rolling Stones, les fantasmes du cinéaste gay et les agissement­s de la “famille” Manson.

Dans La Couleur de la nuit, les meurtres commandité­s par Manson – rebaptisé D, pour Dionysos – jettent une passerelle entre la mythologie de la Californie et celle du Péloponnès­e. Autant qu’à sa monstruosi­té, c’est à la facilité avec laquelle il se fond dans le paysage de Los Angeles que Manson doit de fasciner les romanciers. Allié à l’emprise sexuelle et spirituell­e qu’il exerce sur ses fidèles, son sens de la mise en scène fait de lui un pur produit de la culture californie­nne. Jusque dans l’horreur, le showmanshi­p du criminel le plus terrifiant du siècle dernier peut être interprété comme un hommage pervers aux valeurs d’Hollywood. Bruno Juffin The Dead Circus de John Kaye (Grove Press), non traduit, 323 p. Sympathie pour le démon de Zachary Lazar (Jean-Claude Lattès), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier, 357 p., 20,50 € La Couleur de la nuit de Madison Smartt Bell (Actes Sud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Girard, 240 p., 22 €

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