Les Inrockuptibles

Ode au partage

Mêlant habilement drôlerie et beauté, Denis Podalydès met en scène aux Bouffes du Nord, avec l’aide d’une troupe de comédiens et de musiciens au diapason.

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gentilhomm­e

Le Bourgeois

Bien que pétri de défauts, aussi touchants soient-ils – crédule, naïf, ridicule –, le bourgeois gentilhomm­e possède au moins une qualité : la générosité. Elle ne le perdra peut-être pas, mais le confondra magistrale­ment. En attendant, tout le monde en profite : de la noblesse, qu’il voudrait tant égaler et qui vit de ses largesses, au public convié à une comédie-ballet haute en couleur qui déploie ses fastes musicaux et chorégraph­iques, des envolées baroques de l’ouverture aux volutes orientales du finale.

Mais qu’a donc la noblesse que notre bourgeois ne possède pas ? Le savoir, l’élégance, les manières. Tout un art du paraître, inné, et qui se perpétue de génération en génération mais qui ne s’acquiert pas, même si, pour ce faire, l’impétrant bourgeois gentilhomm­e ne lésine pas sur les efforts. Las, un bataillon de maîtres de danse, de musique, de philosophi­e et d’armes ne saura venir à bout d’autant d’ignorance et d’aveuglemen­t.

Dans cette critique au vitriol du verrouilla­ge pyramidal des classes sociales, Molière s’en donne à coeur joie. Tout son petit monde de personnage­s retrouve la place, intangible, qui est la sienne : le maître de maison autoritair­e et borné qui veut contrer les amours de sa fille pour la marier à sa guise, les valets et servantes insolents et roués, l’épouse clairvoyan­te qui ne s’en laisse pas conter, les parasites qui vivent à ses crochets. L’acmé de sa démonstrat­ion – la culture ne s’achète pas, elle se transmet et se partage – consiste alors à mettre au même niveau la haute culture française et celle, inventée de toutes pièces par les valets moqueurs, de l’Empire ottoman. Dans chaque cas, notre bourgeois est d’autant mieux dupé qu’il n’y entend rien et, faute d’accès à ce qu’il désire, se voit contraint de tout gober et de faire mine d’y prendre plaisir.

Denis Podalydès fait son miel du génie de Molière et sa mise en scène déploie autant de drôlerie que de beauté, avec la complicité et le talent d’une troupe d’acteurs au diapason et l’élégance de la partition de Lully dirigée par Christophe Coin et joliment chorégraph­iée par Kaori Ito. Un régal. Fabienne Arvers Le Bourgeois gentilhomm­e de Molière, musique Lully, mise en scène Denis Podalydès, direction musicale Christophe Coin, chorégraph­ie Kaori Ito, jusqu’au 26 juillet aux Bouffes du Nord, Paris Xe, bouffesdun­ord.com

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