Les Inrockuptibles

Woody, double face

Sur France Culture, Judith Perrignon nous entraîne dans les méandres de la vie et de l’oeuvre schizophré­nique d’un ami de toujours : Woody Allen.

-

De Prends l’oseille et tire-toi à Magic in the Moonlight, en passant par Annie Hall, La Rose pourpre du Caire, Manhattan ou Crimes et délits, cela fait presque cinquante ans que le cinéma de Woody Allen nous accompagne, à raison d’un film par an. Comme le beaujolais, sa filmograph­ie prolixe comporte des cuvées plus ou moins bonnes, mais elle demeure l’événement modeste que l’on est heureux de découvrir chaque année. Non seulement son cinéma fait partie de notre vie, mais par sa fréquence il la contamine, accompliss­ant l’alchimie un peu folle qui travaille le coeur même de ses films : rivaliser avec la vie, réparer par la fiction les blessures et les heurts qu’elle inflige.

Comme Chaplin, Woody Allen, c’est d’abord un personnage familier : une silhouette, chétive et maladroite, un petit rouquin binoclard au phrasé balbutiant et volubile, qui vous raconte, comme il le ferait chez son psy, ses déboires amoureux, ses problèmes de couple, ses paniques d’hypocondri­aque et ses crises existentie­lles, avec l’autodérisi­on fantasque qui fait tout le sel de l’humour juif new-yorkais.

Mais comme tous les cinéastes complexes, Woody Allen est infiniment plus secret et plus trouble que le personnage qu’il a créé à son image. Judith Perrignon nous le rappelle dans le premier volet de cette story qui, au fil d’un commentair­e élégant baignant dans un flot d’ambiances sonores puisant dans la filmograph­ie et des extraits de stand-up du jeune Woody, revient sur son enfance et ses années d’apprentiss­age : du gamin inadapté, rétif à tout cadre scolaire qu’il était, aux premiers pas de gagman à la radio et à la télévision, jusqu’au cinéaste autodidact­e, cultivé, fan des Marx Brothers et de Bergman.

La part d’autobiogra­phie savamment diluée dans ses films et passée au tamis de la fiction, comme une petite entreprise de magie qui transforme et enjolive le réel, demeure finalement assez opaque. Et s’ils habitent le même corps, le personnage de Woody et Allen Stewart Konigsberg, le rejeton peu aimé, turbulent et complexé d’une famille modeste de Juifs new-yorkais originaire d’Europe de l’Est, ne sont pas exactement les mêmes.

De cette schizophré­nie féconde, le cinéaste tire une oeuvre qui semble ressasser jusqu’à l’obsession les mêmes thèmes : les difficulté­s amoureuses, et la vie dont on s’arrange comme on peut – le seul horizon moral des films de Woody Allen étant cet art étrange de bricoler avec l’existence, pour en accepter l’absurdité, l’absence de sens d’une vie sans Dieu, etc. Tout cela sur fond omniprésen­t de jazz et de magie – une passion de jeunesse qui ne l’a jamais quitté et qui émaille nombre de ses films. Magie qui, comme le cinéma et l’imaginaire, transfigur­e, réinvente et recrée un monde infiniment plus joyeux, plus léger et plus beau que cette réalité qu’il exècre mais avec laquelle il faut bien composer “puisqu’il n’y a pas d’autre monde que celui-là”. Anaïs Leehmann Woody Allen Stories série d’émissions de Judith Perrignon réalisée par Gaël Gillon, du lundi 13 au vendredi 17, 9 h 10 (multidiffu­sion à 22 h10), France Culture

 ??  ?? Woody Allen et Scarlett Johansson dans Scoop (2006)
Woody Allen et Scarlett Johansson dans Scoop (2006)

Newspapers in French

Newspapers from France