Les Inrockuptibles

Alain de Greef (1947-2015)

La mort d’Alain de Greef, directeur des programmes emblématiq­ue du Canal+ des années 80 et 90, marque la fin d’une époque télévisuel­le où le divertisse­ment restait digne et corrosif.

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Avec le décès d’Alain de Greef, lundi 29 juin, à l’âge de 68 ans, une certaine idée de la télévision s’est éclipsée. Sans pouvoir la réduire à un seul symbole, la mort de l’ancien directeur des programmes de Canal+ résonne comme le chant du cygne possible d’un temps télévisuel. Celui qui, s’accommodan­t des contrainte­s commercial­es du marché des médias de masse, s’autorisait encore des prises de risques et des pas de côté au coeur du système dominant.

Alain de Greef fut peut-être le dernier des grands programmat­eurs de la télévision française, l’un de ces “saltimbanq­ues” du petit écran qui, sous la surface de sa désinvoltu­re, cachait un sens aigu et précis de ce que devait être une télévision de divertisse­ment intelligen­te. La fantaisie et l’esprit, la déconne et la réflexion ne s’opposaient jamais dans son atelier de création télévisuel­le : la légèreté conditionn­ait l’épaisseur, plutôt qu’elle ne l’excluait.

Il avait commencé sa carrière dans l’audiovisue­l comme chef monteur à l’ORTF en 1971, avant de débarquer sur Antenne 2 en 1974, où il rencontra Pierre Lescure, avec lequel il conçut l’émission Les Enfants du rock en 1982, puis déploya l’identité de Canal+ dès le milieu des années 80.

De 1986 à 2000, il ne baissa jamais la garde de son inventivit­é, toujours prêt à la provocatio­n et à l’exploratio­n de sentiers parallèles. On a peut-être un peu oublié aujourd’hui qu’il tenait beaucoup à quelques programmes minoritair­es – Objectif Nul, le JTN, A la rencontre de divers aspects du monde contempora­in ayant pour point commun leur illustrati­on sur support audiovisue­l, Le Centre de visionnage, L’OEil du cyclone, L’Appartemen­t, Les Carnets de Monsieur Manatane… –, occultés par la puissance des émissions restées cultes, comme Nulle part ailleurs, Les Guignols, Groland, Le Vrai Journal, Les Deschiens, La Grande Famille, En aparté…

Beaucoup des personnali­tés qu’il fit venir sur la chaîne traînaient à Radio Nova, où il puisa des talents en plus d’un certain “ethos” audiovisue­l. Succédant aux disparitio­ns récentes de quelquesun­es des figures de cette aventure – Jean-François Bizot, au premier chef, puis Michel-Antoine Burnier, Léon Mercadet, Jean-Pierre Lentin, Rémy Kolpa Kopoul… –, la mort d’Alain de Greef marque la fin d’une génération flamboyant­e de journalist­es marquée par le goût de l’avant-garde, de la contrecult­ure, du journalism­e narratif à l’américaine et de la provocatio­n libertaire et dandy à la fois.

Si tout son héritage n’a pas été dilapidé depuis son départ de Canal+ au début des années 2000, fidèle à ce qu’il avait inventé dans les grandes lignes, l’avenir semble plus incertain. La reprise en main de la chaîne par le nouvel actionnair­e majoritair­e Vincent Bolloré pourrait marquer une rupture forte avec tout ce à quoi croyait Alain de Greef : l’irrévérenc­e à l’égard des puissants, dont les Guignols portent encore aujourd’hui l’étendard, mais qui, semble-t-il, ne sont pas de son goût.

Autre époque, autre ambiance : la mort de De Greef attriste autant ses proches que ceux qui attendent de la télé autre chose qu’une machine normative et tiède. Tout ce qu’il détestait, tout ce qui fut sa signature et son honneur. Jean-Marie Durand

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