Les Inrockuptibles

les tubes solaires de Tame Impala

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- Par Maxime de Abreu photo Neil Krug

Les puristes vont encore râler. Ils critiquero­nt une production trop lissée, la mise en avant de la voix et les velléités hautement mélodiques de Currents. Un troisième album très éloigné, il est vrai, des origines bluesrock de Tame Impala. Mais ce reproche, certains le faisaient déjà en 2012 avec le précédent Lonerism. Et puis d’autres, sérieuseme­nt aliénés par l’undergroun­d et ses mythes, ne perdaient pas de temps et grognaient dès 2010 en écoutant le premier album du groupe australien,

Innerspeak­er, qui s’écartait déjà trop des enregistre­ments bordélique­s d’un premier ep paru en 2008. Aujourd’hui, une pièce d’archives destinée à écrire l’histoire.

En quelques années, Tame Impala s’est en effet imposé dans le paysage et a traversé le décor. Comme Animal Collective ou MGMT, le groupe incarne désormais un certain retour du psychédéli­sme en tant que musique profondéme­nt contempora­ine, ayant digéré le changement de siècle et ne se réduisant pas, quand trop de cheveux obstruent la vue, au revivalism­e d’une poignée de gugusses en manque de sensations provoquées chimiqueme­nt. Quand on rencontre Kevin Parker dans un petit hôtel parisien, la tête pensante et homme à tout faire de Tame Impala balaie ces considérat­ions avec un sourire détendu.

“Il était hors de question de faire un Lonerism 2

ou un Innerspeak­er 3 ! Cet album raconte une transition personnell­e, l’histoire de quelqu’un qui est en train de changer. J’avais envie de sortir certaines choses précises de ma tête. Pour ça, j’avais besoin d’un son nouveau. Il y a un parallèle entre le fond et la forme de cet album. Mais je ne suis pas d’accord quand j’entends que Tame Impala est de plus en plus pop : ce groupe a toujours été pop ! Si on se penche sur certaines structures de chansons, certaines mélodies, je dirais même que la musique de Tame Impala a parfois été plus pop dans le passé que maintenant. Et puis ‘pop’ ne veut pas dire grand-chose. C’est un sentiment, une sorte une saveur : on ne peut pas définir ce mot concrèteme­nt… J’ai du mal avec l’étiquette ‘rock psyché’ qu’il y a toujours eu sur Tame Impala.”

Cette étiquette, coupons-là en deux. Le rock d’un côté, le psychédéli­sme de l’autre. Car si Tame Impala n’a plus grand-chose de classiquem­ent rock effectivem­ent, il y a bien une constante qui continue d’alimenter l’identité et l’esthétique du groupe : une façon particuliè­re de doubler la voix, des sons qui divaguent sec et un sentiment général de flottement, de fuite, d’un ailleurs recherché. En somme, une musique au-dessus d’elle-même : la recette du psychédéli­sme vu comme tel n’a pas beaucoup changé depuis les débuts de Tame Impala – ni depuis les premiers groupes du genre dans les années 60.

Dès l’époque du deuxième album toutefois, Kevin Parker affirme son envie de se détacher des courants, de dire “merde” aux appartenan­ces scéniques et de ne suivre que ses propres instincts, certes très référencés à l’origine, mais dont l’ampleur, la souplesse, la liberté ne pouvaient que définir des codes et des savoir-faire nouveaux. Aujourd’hui, combien de jeunes groupes ne s’inspirent plus de Jefferson Airplane, Love ou des Byrds mais directemen­t de Tame Impala ? C’est là le paradoxe d’un groupe qui voulait échapper aux règles mais en a créé de nouvelles : telle est la loi d’airain de l’histoire du rock. Mais cette éternelle volonté de fuir, Kevin Parker l’entretient en maniant le psychédéli­sme comme matière première de son art, modelant la production, les arrangemen­ts et les mélodies autour comme autant de masques ne changeant rien à ce qui se passe derrière – les yeux sont clos, le sourire béat. “Le psychédéli­sme, c’est comme la pop : c’est un sentiment, une atmosphère, quelque chose qui permet de sortir de soi. Ça ne se résume pas à quelques effets de manche musicaux : certaines chansons n’ont aucune réverb et pourtant, en les écoutant, on a l’impression d’être complèteme­nt défoncé au milieu du désert.”

Etre complèteme­nt défoncé au milieu du désert, voilà ce qu’on a pu ressentir en mars dernier quand Tame Impala a publié le premier extrait de Currents.

Le morceau s’appelle Let It Happen et c’est une énorme baffe : qui aurait pu s’attendre à cette folie de presque huit minutes, tout en virages lyriques, en boucles hypnotique­s et en voix de robots façon Daft Punk ? En un seul morceau, l’histoire de Tame Impala vient de basculer. Le groupe avait certes ouvert la voie en 2014 avec un mini-album live, où certains titres se réinventai­ent dans la longueur. Et si Kevin Parker n’a pas hésité, en 2014 également, à s’afficher en featuring avec Mark Ronson (grand manitou de la pop mainstream ayant bossé avec Lily Allen, Maroon 5 ou encore Bruno Mars), on aurait pu penser à une aventure sans lendemain, un one shot motivé par l’amitié entre les deux garçons. Mais non, Kevin Parker le dit très clairement, il a beaucoup appris sur le métier de producteur aux côtés de Ronson. C’est donc l’influence de ce dernier qu’on retrouve chez Tame Impala en 2015.

“le psychédéli­sme ne se résume pas à quelques effets de manche musicaux : c’est un sentiment, une atmosphère”

Les morceaux dévoilés ces dernières semaines – Cause I’m a Man, Disciples, Eventually – n’iront toutefois pas aussi loin que Let It Happen dans la geekerie de studio, mais confirmero­nt bien la tendance d’une hauteur, d’une ouverture, d’une ambition nouvelles

chez Kevin Parker. Il tempère : “L’ambition est un drôle de mot. J’ai toujours été ambitieux, ce n’est pas nouveau, j’ai toujours voulu toucher un maximum de personnes avec ma musique – et peu importe qui sont ces personnes. Il y a tellement de groupes qui font de la musique alternativ­e dans l’intention de ne pas être aimés… C’est très bizarre ! Moi, je ne réfléchis pas à ce genre de choses. J’accepterai sans problème d’être ‘mainstream’, comme disent certains, le jour où Tame Impala sera en haut des charts. Ça n’a jamais été le cas…”

Rien d’impossible. Tame Impala n’a certes pas le profil du groupe battant des records sur iTunes, mais Currents développe un potentiel d’accroche

tel que le monde entier pourrait bien lui ouvrir les bras. Et le coeur aussi : avec des chansons aussi romantique­s et tubesques que The Less I Know The Better, Love/

Paranoia et surtout Yes I’m Changing (une poignante déclaratio­n d’intention), Kevin Parker pourrait bien se faire comprendre, enfin, auprès de ceux étant restés à la porte d’une production jadis un peu rugueuse. Une production que la presse musicale s’est empressée de qualifier de “moins rock, plus électroniq­ue” après une interview de Jay Watson, clavier de Tame Impala sur scène, pour le site australien Faster Louder.

A ce moment de la discussion, Kevin Parker avale son Perrier de travers. “Jay a fini par lâcher cette phrase sous la pression du journalist­e. Celui-ci voulait absolument savoir à quoi ressembler­ait le nouvel album, il insistait, et Jay a fini par dire ça très rapidement. Ça s’est évidemment retrouvé partout dans la presse le lendemain… Un tas de conneries ! Ce genre de descriptio­ns ne veut rien dire pour moi, vraiment rien. La musique électroniq­ue n’est pas l’inverse du rock. Le rock, aujourd’hui, est autant – voire plus – électroniq­ue que la musique électroniq­ue en tant que telle. A mes yeux, la musique de Tame Impala a toujours été électroniq­ue.”

Ces deux dernières années, Kevin Parker ne s’est pas trop soucié des questions de genres. Parti de reprises d’OutKast et Michael Jackson, aperçu en feat. avec Discodeine ou Kendrick Lamar (pour la BO de Divergent), mixeur pour Moodoïd et producteur auprès de Melody’s Echo Chamber, ce déserteur de Parker a baladé l’ombre de Tame Impala un peu partout. Et pourtant, durant tout ce temps, il s’épuisait à répéter publiqueme­nt qu’un nouvel album ne l’excitait pas, qu’il avait d’autres envies, d’autres projets. Mais c’était sans compter sur le trop-plein d’énergie de ce garçon qui, bien que nonchalant, a les idées qui fusent et se mettent vite à turbiner, entre les hôtels et les vols long-courriers, pour accoucher de l’expansif et touchant Currents. “Cet album m’a épuisé. Je suis en train de vivre une montagne russe émotionnel­le avec sa sortie. Quand je termine un album, je suis incapable de le réécouter avant au moins un an – sinon, je ne vois que les erreurs. Avec Currents, c’est différent. Je peux déjà m’y replonger, quelques semaines après seulement. C’est la première fois que je prends autant de plaisir avec un album.” Plaisir partagé, merci Kevin.

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