Les Inrockuptibles

Edwige

L’écrivain a bien connu Edwige, décédée le 22 septembre. Pour Les Inrocks, il a accepté de raconter les débuts parisiens de celle qui devint l’égérie platine de toute une génération, du Palace au Studio 54.

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Lorsque Edwige habita chez moi en décembre 1979, elle me raconta qu’elle était de l’Assistance publique et que ses parents adoptifs l’avaient chassée à 17 ans. Je ne sus jamais ni son âge, ni son vrai nom, à peine celui de “Jorge”, le nom de son charmant mari Jean-Louis, mort plus tard assassiné à Saint-Domingue. Au moment d’écrire mon livre, j’ai demandé à Eva qui n’en savait pas plus. Le mystère dont Edwige s’entourait forçait le respect. La valeur de certains êtres vient de la capacité qu’ils ont de mêler la plus haute féérie à la vie quotidienn­e. Peu importe le décor, un halo les distingue et leur donne le pouvoir de modifier par la fascinatio­n immédiate qu’ils exercent le cours d’autant d’existences que le destin leur fait croiser. Edwige était de ceux-là. Plus que la période “Palace” ou sa carrière de chanteuse new-yorkaise, ses débuts parisiens révèlent sa vraie nature.

C’est en 1973 que Serge Kruger découvrit Edwige dans la pénombre d’un surplus militaire. “Lors d’une vie précédente, j’étais propriétai­re d’une station de matériel électroniq­ue (des autoradios) à la porte d’Italie, un quartier de troisième classe. J’étais client d’un surplus qui se trouvait en face, de l’autre côté du boulevard, au Kremlin-Bicêtre. Un après-midi, j’ai croisé les yeux de cette inconnue dans la boutique et je suis tombé amoureux d’elle. Je ne sais pas ce que je lui ai baragouiné, je crois que je lui ai dit tout de suite : ‘Je t’aime.’ Elle avait de longs cheveux châtains et ses yeux inoubliabl­es, obliques.” Une histoire d’amour commence : “Elle voulait bien flirter mais pas plus car pour le reste, elle m’a avoué très vite qu’elle préférait les femmes. Elle avait 15 ans et demi ou 16 ans.” Edwige se laisse embrasser, flirte quelque temps et puis, un jour, annonce à Serge par téléphone qu’elle part faire du camping sur la Côte d’Azur.

“Elle avait peut-être parlé de Menton, je ne sais plus… J’ai pris ma voiture et j’ai traversé la France pour aller courir tous les campings de la côte. J’ai fini par la retrouver dans une petite tente individuel­le. Je l’ai réveillée en lui chatouilla­nt les pieds (elle détestait qu’on lui touche les pieds). Quand elle a ouvert les yeux, je lui ai proposé de partir à Porqueroll­es chez un copain qui avait un beau bateau.” Après trois jours d’idylle toujours platonique, Edwige plante Serge un matin et disparaît. “Elle avait tapé dans l’oeil du mari de Jeanne Moreau, mais ce n’était pas réciproque. Elle est partie. J’ai été inconsolab­le pour l’éternité, c’est-à-dire me concernant, au moins quinze jours.”

Trois ans durant, Serge n’entendra plus parler de la belle inconnue.

“Je ne savais rien d’elle, même pas son nom de famille.” C’est Eric Busch, autre membre de la confrérie des amis les plus anciens, qui me le livre, intact, ignoré de tous, depuis quarante ans : “Bessuan, Edwige (son vrai prénom) Bessuan…” Elisabeth Hullin, dite Babette, m’en apprend plus sur sa famille. “Ses parents étaient boulangers en banlieue parisienne, elle avait une grande soeur, homosexuel­le comme elle, qui s’appelait Belle et que j’ai connue.

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