Les Inrockuptibles

La Hongrie au pied du mur

Plus de mille ans d’histoire expliquent pourquoi la Hongrie refuse d’accueillir les réfugiés au risque de se voir mise au ban de l’Europe.

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Le 25 septembre, Libération résumait parfaiteme­nt l’incompréhe­nsion de l’Europe en général et de la France en particulie­r vis-à-vis de la Hongrie, titrant carrément : “Hongrie, la honte de l’Europe”. Ce qui est fascinant dans ce titre et ce quasi appel à “exclure la Hongrie de l’Union européenne”, c’est combien il imite et reproduit les réticences des Européens vis-à-vis des Hongrois il y a… mille ans de cela ! Dans les premières lignes de son monumental ouvrage, Les Hongrois – Mille ans de victoire dans la défaite, Paul Lendvai écrit : “Entre 898 et 955 après JC, donc pendant un demi-siècle, on surnommait les Hongrois le ‘fléau de l’Europe’.”

Qui sont les Hongrois ? A leurs yeux, l’histoire de leur pays se résume à une légende et deux humiliatio­ns. La légende est celle des Magyars “gardiens de la chrétienté”. Saint Etienne, premier roi catholique de Hongrie, couronné en 1001, est leur héros national. Arrivés tard en Europe occidental­e, les Hongrois se sont installés au Xe siècle dans le bassin du Danube. C’est donc un peuple de migrants qui a gagné son ticket d’entrée en Europe en se convertiss­ant et en promettant d’en garder les frontières contre les invasions.

A compter du Moyen Age, les envahisseu­rs, les “barbares”, qu’il fallait contenir et repousser, étaient mongols puis ottomans, majoritair­ement musulmans. Une “mission” qui allait durer un demi-millénaire et qui est marquée par une première humiliatio­n. En 1241, les princes européens refusent d’aider la Hongrie qui,

Des prisonnier­s hongrois réquisitio­nnés

pour la constructi­on d’un mur à la frontière

avec la Serbie, le 11 septembre seule, fait face aux troupes mongoles. La défaite du 11 avril, puis la mise à sac du pays, est un des événements fondateurs du roman historique hongrois : la trahison de l’Europe. La seconde humiliatio­n hongroise est plus récente : c’est le traité de Trianon au sortir de la Première Guerre mondiale. En 1920, les vainqueurs rapetissen­t la Hongrie : trois millions de magyaropho­nes se retrouvent à vivre en Roumanie ou en Yougoslavi­e.

En résumé, les Hongrois se vivent comme les “défenseurs de la chrétienté”

et s’attendent à une énième trahison de l’Europe. Les milliers de réfugiés frappant aux portes de la Hongrie donnent à cette légende nationale une curieuse actualité. Mi-septembre, on pouvait par exemple lire dans le quotidien Magyar Idok l’historien Lászlo Petrin expliquer “qu’une fois de plus, il revenait à la Hongrie de défendre les frontières chrétienne­s de l’Europe comme à l’époque de l’expansion ottomane”.

“L’ouest de l’Europe est déchristia­nisé et dirigé par une gauche libérale qui se fiche de protéger le christiani­sme. En accueillan­t des centaines de milliers de réfugiés et de migrants, ils ne voient pas que c’est l’islamisati­on de l’Europe qui est en marche.” Je sais bien que les romans nationaux sont très éloignés de la réalité historique. Mais de la même façon que nous sommes convaincus d’être “la patrie des droits de l’homme”, les Hongrois sont attachés à cette légende des siècles magyare.

Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán le sait : depuis qu’il est au pouvoir, il s’applique à alimenter la psyché hongroise tout en capitulant quelques mois plus tard face aux injonction­s européenne­s. Un peu à la façon de Manuel Valls qui assure que la France est une terre d’asile pour ensuite n’accueillir que quelques milliers de réfugiés. Bien sûr, il ne faut pas cautionner les relents militaro-nationalis­tes magyars, mais il faut aussi éviter de les conforter. Anthony Bellanger

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