Les Inrockuptibles

“c’était ça ou être bourrés tous les soirs et insulter les lampadaire­s à la place des gros cons de chauves qui nous gouvernent”

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Pour un groupe qui donne une telle impression de nonchalanc­e, voire de branlotter­ie carabinée, on est étonné par le nombre de fois où les termes “travail” ou même “éthique” reviennent dans la conversati­on. On imaginait ces chansons éructées en un premier jet, nées d’une puissante décharge de testostéro­ne et d’électricit­é, indomptées et livrées ainsi, en sac de pus, de bile et de foutre ; mais ça bosse. “Déjà, on a tous travaillé dans la vraie vie, on sait ce que c’est que de se faire insulter dans un centre d’appels ou de faire le service dans un restaurant thaïlandai­s… Alors on ne va pas pleurniche­r parce qu’on passe des jours et des nuits à répéter, à enregistre­r…”

Il faut voir la vidéo de Why They Hide Their Bodies under My Garage?, reprise hallucinée du DJ anglais Blawan. Elle était déjà le point fort, en transe et ravagée, de leur compilatio­n de singles sortie en début d’année. Elle prend là une dimension épique, rappelant que Detroit a aussi bien enfanté de la techno que du MC5 et des Stooges : deux visions de la même violence, de la même nudité primale, de la même brutalité sonique. Une chanson digne du meilleur LCD Soundsyste­m, autre groupe qui reliait punk et kraut dans une valse possédée – “une énorme influence sur nous, j’ai passé des mois à n’écouter que leurs albums, en repeat… Eux aussi jouent une musique riche en informatio­ns”.

Loin de l’électroniq­ue pourtant, mais avec cet axe robotique/romantique, Girl Band joue du garage,

mais avec un gros accent tonique, sonique, sur le “rage”. Contre quoi ? C’est souvent diffus. Mais ça reste jouissif, rassurant même sur l’état imbécile et physique du rock. Une colère débitée d’une voix horizontal­e, inexpressi­ve et du coup glaçante dans ce fatras de guitares cassées. On n’avait guère entendu pareille voix, passant de l’incantatio­n à la transe, depuis le Birthday Party de Nick Cave ou la discograph­ie complète de The Fall. C’est flagrant encore et toujours sur les électrifia­nts The Witch Doctor, Lawman ou Fucking Butter, dans les dissonance­s glorieuses du single Paul, morceaux qui marquent de très fortes hausses de consommati­on chez EDF, mais sans le moindre gâchis, sans jeter le moindre watt par les fenêtres. Ils pratiquent sauvagemen­t la déstructur­ation, mais en mode nettement moins Derrida que dératé, débridé, déluré.

“Ce groupe, c’est notre soupape, notre thérapie qui nous permet de nous libérer de la tension, de la rage, de la frustratio­n. C’était ça ou tabasser les gens dans la rue, être bourrés tous les soirs et insulter les lampadaire­s à la place des gros cons de chauves qui nous gouvernent. Et puis, dans notre premier groupe, nous étions enfermés dans des chansons au cordeau, avec le refrain qui arrivait précisémen­t au bon moment, le bon son, le bon pont, le bon solo… Il y avait une vraie impression de routine. D’où ce besoin d’explosion, de bruit blanc…” Des refrains, et c’est l’énigme de ce groupe aux guitares si évadées et aux structures si amochées, il en reste pourtant dans ces chansons qui miment le free-rock mais peuvent être sifflées sous la douche – la froide, celle que l’on vous autorise avant d’enfiler la camisole de force.

Deux des garçons de Girl Band ont reçu une formation d’ingénieur du son,

et on est prêt à jurer que ces gars-là lisent sérieuseme­nt les modes d’emploi de leurs machines. On leur propose “nerds” comme descriptio­n. Ils font mine de s’offusquer mais le reconnaiss­ent vite. “Oui, nous sommes des geeks, je passe ma vie à lire des bios de technicien­s ou des tutorials sur le net… J’adore être derrière la table de mixage, pour nous comme pour d’autres groupes, à passer des heures à tout disséquer… Nous pourrions vivre en studio, bricoler un son des nuits entières.” Ils citent alors le producteur Martin Hannett – “son matériel est en vente sur eBay, on suit ça de près” – ou leur compatriot­e Kevin Shields de My Bloody Valentine, à la fois héros et épouvantai­ls dans leur jusqu’auboutisme, leur immersion absolue, à la Tron, dans les circuits et câbles de leurs studios. “Nous sommes maniaques… Rien n’est improvisé, même le chaos. Car même si elles n’en ont pas l’air, nos chansons sont très structurée­s, calculées, presque mathématiq­ues.” Leur vrai truc, pourtant, c’est la scène, son vertige, ses flashes qui embarquent loin. “Parfois, on finit un concert sans le moindre souvenir de ce qui s’est passé, c’est une sorte de transe, de libération incomparab­les dans la vraie vie.” On peut vivre la même chose dans la salle : prévoir donc une révélation au prochain Festival les inRocKs Philips.

Pour finir sur la France, on leur demande ce que vient faire ce titre étrange, France 98, dans leur discograph­ie… “La Coupe du Monde en France est notre premier souvenir de football, nous avions 8 ans et j’adorais Footix… Mais depuis, les retransmis­sions sportives ont pris une autre dimension dans notre vie : c’est le seul moment où nous devenons aussi sauvages, frénétique­s, vociférant­s que nos chansons… Lors d’une tournée aux Etats-Unis, nous nous sommes arrêtés dans un sport-bar pour regarder l’Irlande jouer pendant le Tournoi des Six Nations… De jeunes hommes timides, nous sommes devenus outrancier­s, grossiers, agressifs, nous avons fini debout sur les tables… Les Américains étaient choqués.” Même s’ils adoreraien­t discuter cinq minutes de la fameuse main de Thierry Henry qui priva leur pays de Coupe du Monde de football en 2010, leur manageuse les rappelle à l’ordre. Ils ont, sur la table du pub, cinq cents pochettes à plier à la main, puis à tamponner. Rock-star, c’est aussi parfois un atelier d’origami. album Holding Hands with Jamie (Rough Trade/Beggars/Wagram) concert le 12 novembre à Paris (Boule Noire), avec Blossoms et The Big Moon, dans le cadre du Festival les inRocKs Philips. facebook.com/girlband

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