Les Inrockuptibles

“notre rencontre avec Woodkid a été déterminan­te, y compris sur notre propre album”

Benjamin

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un chèque de 50 000 francs, une somme énorme à l’époque, et je suis allé chez McDonald’s où j’ai dépensé 300 francs en burgers que je n’ai jamais pu finir. Ce qui nous a vraiment sauvés, c’est que nous n’avons pas les mêmes goûts en matière de femmes. Surtout que je n’aurais pas pu rivaliser (rires)…

Tu culpabilis­es de ne jamais avoir travaillé ?

Guillaume –

Oui. Mon frère est couvreur, ses mains sont des caillloux. Mon père est chauffeur de taxi. Je viens d’un milieu prolétaire, j’ai vraiment l’impression de ne pas partager cette éthique du travail. Ma grand-mère a bossé toute sa vie, elle tenait des bars, des boîtes de nuit, des hôtels parfois louches. Mon seul job, ça a été disc-jockey au Tigre, la boîte rock de Reims, tenue par monsieur Lapie.

A quel moment vous dites-vous que la musique est votre destin ?

Benjamin Lebeau –

Il y a un premier moment. A 10 ans, mon grand-père m’a offert un clavier Bontempi. Très vite, je suis arrivé à jouer le tube de Jean-Michel Jarre qui passait à la radio. Puis un second moment, à 16 ans : Guillaume jouait dans un groupe de reprises de Led Zep qui faisait aussi sa version d’Anarchy in the UK des Sex Pistols. Je venais souvent les voir répéter et un jour, ils m’ont tendu la basse sur cette chanson, que j’ai jouée sans souci. Ça a été une révélation. Deux semaines après, j’avais mon propre groupe punk. Six mois après, je plaquais l’école – au désespoir de ma mère, qui m’aurait bien vu représenta­nt à cause de mon bagout. Mais pour moi, c’était la musique ou rien. Je rêvais d’une école de musique que mes parents ne voulaient pas me payer : j’ai donc travaillé un an dans les travaux publics pour la financer. Là, je me suis rendu compte que j’étais peut-être le meilleur bassiste de ma rue mais que j’étais très en retard sur les autres. Les machines aidant, je me suis lancé dans la musique électroniq­ue et je me suis mis toute l’école à dos : comment pouvait-on envisager la musique sans musiciens, les rythmes sans batteur ? Je me suis donc immédiatem­ent passionné pour la production et j’ai acheté un petit 4-pistes à cassette. Je faisais des trucs très psychédéli­ques, à la Tangerine Dream.

D’où te vient cette passion pour la technique ?

Benjamin –

Dans ma chambre d’enfant, j’avais dessiné plein de boutons sur le mur, sous mon lit. Ça m’est resté : je suis heureux quand je suis entouré de machines couvertes de boutons. Je ne lis pas les modes d’emploi : je préfère découvrir la machine par accident. J’aime ce côté amateur, je veux garder ma naïveté.

Moi, ma seule ambition, à 12 ou 13 ans, c’était d’avoir ma musique sur un CD. De m’entendre jouer en appuyant sur la touche “play”. C’était avant les graveurs… C’est pour ça que je me suis très vite intéressé aux home-studios : ça me semblait la seule voie pour un type comme moi. Composer et produire, ça allait de pair, dès le début. Il y a même des moments où la production nous obsédait plus que la compositio­n. On disséquait tout, on jouait à l’identique les albums qui nous fascinaien­t, comme le premier Air. On était complèteme­nt geeks. On a monté plein de projets qui jouaient de la lounge, de la drum’n’bass, du hardcore, de la house, du grunge, du punk… Dès qu’on entendait un nouveau son, on voulait savoir avec passion comment c’était fait. Il nous fallait comprendre tous les codes avant de trouver notre son.

Guillaume –

Comment avez-vous payé vos premiers instrument­s ?

Benjamin –

Je dealais un peu de shit et je suis tombé sur un couillon qui m’a échangé sa basse Fender Japan contre dix grammes. Je joue encore dessus. Puis je me suis payé un sampler SP808. Il me servait à mettre en forme toutes les idées de musique qui assaillaie­nt ma tête. Très vite, une radio de Bordeaux, où je vivais à ce moment-là, a passé mes morceaux, un label local s’est manifesté : tout s’est passé sans que j’intervienn­e, je n’ai jamais envoyé une cassette ou un CD à un label.

J’ai commencé par le piano, j’ai suivi des cours

Guillaume –

au conservato­ire. Mon père chante et joue un peu de guitare, il organise surtout des concerts, des soirées, c’est un fanatique de chanson française et de poésie, un obsédé des orgues Hammond. Un jour, on est partis tous les deux à Rotterdam m’en acheter un, j’avais 15 ans. Il m’a toujours aidé, soutenu, il s’est saigné pour me payer du matériel, il a même été manager de mon premier groupe de reprises, dans lequel mon frère jouait. Comme les frères Jackson (rires)… On fumait des pétards avec lui dans le van, ma mère disait qu’elle avait un fils de plus tellement on était complices. Du coup, je n’ai jamais eu besoin de me rebeller contre l’autorité paternelle… C’est comme s’il m’avait programmé pour vivre par procuratio­n ce qu’il avait manqué lui-même. Pour moi, c’était soit la musique, à corps perdu, soit réparer des Mobylette.

Il vient vous voir en concert ? Guillaume –

Oui, et je déteste ça. Quand je lui ai fait écouter Chemicals, au bout de huit jours, il m’a dit : “C’est largement inférieur à tout ce que tu as pu faire jusqu’ici.” J’ai déprimé pendant trois semaines. Mais il a réécouté l’album avec ses copains et a changé d’avis. Ça fait partie du personnage. Il n’a jamais toléré qu’on chante en anglais. A Reims, il est nettement plus connu que moi. Taxi de nuit, grande gueule, fan de Manset et de Léo Ferré…

Il y a un côté revanche sociale dans votre succès ?

Guillaume –

Oui, ça a été une motivation. Quand j’accède à des soirées incroyable­s, dans lesquelles je reste toujours spectateur, je pense à ma grand-mère : elle aurait rêvé de vivre ça.

Par rapport à la bourgeoise rémoise, on était vraiment des gitans, Guillaume et moi. On a toujours traîné avec les cas sociaux.

Benjamin –

Votre mélange de pop et d’electro semble très anglais…

Benjamin –

On a un côté anglais effectivem­ent, on s’y sent très à l’aise. Et puis, très jeune, j’ai été traumatisé par The Cure, Lullaby a été mon premier disque acheté avec mon argent. En même temps, comme j’étais bassiste, j’écoutais aussi beaucoup de funk,

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