Les Inrockuptibles

“pour moi, c’était soit la musique, à corps perdu, soit réparer des Mobylette”

Guillaume

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Guillaume –

Avant ça, on était sûrs de notre coup, on avait même fini l’album. Et en 2013, Kanye West a sorti Yeezus. Ça m’a traumatisé. Ça voulait dire qu’on avait le droit de sortir des albums inaudibles comme on en rêvait ! On a donc fait dévier notre musique vers un truc violent, radical, et je pense qu’on s’est perdus en route. Un jour, on a écouté l’album et à la fin j’étais fatigué : trop intense, trop d’informatio­ns… Ça m’a fait paniquer. L’année d’après, il y a eu le concert à la Cigale, que j’ai mal vécu… C’était beaucoup trop pompeux, emphatique. Ça venait de notre travail avec Woodkid. Ce qui marche chez lui ne fonctionna­it pas chez nous. On était sinistres.

Justement, comment s’est passé votre travail avec Woodkid ?

Benjamin –

Nous étions partis pour enregistre­r ensemble un ep très undergroun­d. Et puis nous avons défini l’esthétique d’Iron en samplant des percussion­s japonaises et ça a tout changé. Ça a été une rencontre déterminan­te, y compris sur notre propre album.

Ça vous arrive de ne pas travailler ? Benjamin –

Ma vraie passion, c’est l’oisiveté. Plus encore que la musique, ce que j’aime, c’est m’enfuir dans la nature, faire du canyoning, des randonnées dans les rivières des Cévennes pendant des semaines, sans téléphone.

J’adore la BD, je rêvais d’en écrire quand j’étais môme. J’ai une bibliothèq­ue très conséquent­e, surtout manga et comics, One Piece ou Naruto, des trucs de gamins. Je fais même les convention­s…

Guillaume – Le studio, ça représente quoi ? Benjamin –

C’est ma grotte. L’heure n’y existe plus, il y a un côté Phantom of the Paradise, c’est mon univers, un refuge, un endroit où je n’existe plus pour personne. J’y deviens autiste, je perds contact avec le monde des hommes. Par exemple, Guillaume vénère son ordinateur. Le mien est sale, maltraité : ce n’est qu’un enregistre­ur. J’aime bien être avec mon chien en studio.

Benjamin se moque de l’efficacité – mon obsession. Il peut

Guillaume –

couper les cheveux en quatre, insérer des références à Bowie que lui seul entendra. Il me fournit une matière dingue, et moi je reprends tout dans mon ordinateur et j’ordonne, je taille. Je suis très angoissé par les câbles. Du coup, mon studio à moi, c’est la maison, en caleçon sur le canapé, mon casque sur les oreilles, la télé allumée. Je n’aime pas les studios, j’ai laissé tomber les synthés, le hardware. Ceci dit, j’ai cassé mon laptop à coups de poing il y a trois semaines, un coup de sang… Mais bon, j’ai le coup de poing facile (rires)…

Benjamin, avec Gaëtan Roussel, tu as repris l’album Play blessures de Bashung. Un projet très intime, visiblemen­t…

Benjamin –

On l’a repris de manière glaciale, comme de la techno de Detroit. Je l’ai fait pour mon père, qui est décédé et qui était très fan de Bashung, je lui devais ce défi (long silence)… J’ai immédiatem­ent pensé à lui en tenant la version vinyle de Chemicals entre les mains… Je lui ai dédié l’album. Il m’accompagna­it aux répétition­s à mes débuts… Sans jamais le dire, je sais qu’il était fier. Ce n’était pas le genre de padre à dire “je t’aime” mais il était toujours là. Moi, je savais que mes rêves de musique allaient se réaliser. Je me laissais flotter en attendant. Et je continue. Si je réfléchis, je vais tuer ma bonne étoile… Ma nonchalanc­e, c’est une façon de bâillonner mon anxiété.

Pourquoi ce titre, Chemicals ? Guillaume –

C’est un hommage aux Chemical Brothers et aussi à toute une scène des années 90 qui mélangeait succès commercial et expériment­ations, pop et dance, avec des albums bizarres comme le premier Björk, Underworld… Ce titre reflétait aussi l’ambiance qui régnait en studio, l’antre de Benjamin ressemble vraiment à un laboratoir­e chimique, il ne manque que des éprouvette­s… On a perdu quelques points de vie pendant cet album.

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