Les Inrockuptibles

“on ne veut pas s’enfermer dans le passé”

Nouveau label, nouveau line-up, nouvel album : après dix ans de silence, New Order change tout et renoue avec la pop bipolaire, mélancoliq­ue et fêtarde qui a fait sa gloire.

- Par Maxime Delcourt

C’est en direct des Bains-Douches que des milliers d’auditeurs ont pu entendre pour la première fois, le 18 décembre 1979, les pulsations élémentair­es d’un rock aussi rugueux que brutal, celui de Joy Division. Trente-six ans plus tard, Ian Curtis n’est plus, le lieu d’origine non plus. C’est donc au sein d’un bâtiment entièremen­t rénové et désormais renommé Les Bains que l’on retrouve Phil Cunningham, Tom Chapman et Bernard Sumner, dont les yeux semblent s’humidifier lorsqu’il s’agit d’évoquer les débordemen­ts d’éclats autrefois suscités par Disorder ou She’s Lost Control : “Je ne me souviens plus exactement du concert en tant que tel, mais je me souviens du lieu et de l’énergie qui y régnait.”

Cette énergie, faite de tension et de furie punk, imprégnait chaque morceau des premiers albums de New Order et participai­t grandement à l’utopie pop prônée par le collectif mancunien au cours des eighties. Le risque était de se reposer sur une telle esthétique et de tomber dans le cliché, ce que n’ignoraient pas Sumner et sa bande, toujours à la recherche de nouvelles sonorités, parfois au bénéfice de la folie et de la pop ouvragée ( Get Ready, 2001), parfois au détriment de la magie ( Waiting for the Sirens’ Call, 2005). Qu’attendre alors d’un album de New Order en 2015 ? Une nostalgie vainement entretenue ou un lifting clairement marketé ?

Rien de tout ça. Music Complete, neuvième forfait ô combien euphorisan­t, pioche dans tout ce qui fait l’immense et immédiat intérêt des production­s estampillé­es New Order (basse distordue, mélodies crève-coeur, rigidité endémique) et en propose une vision nouvelle, ouvertemen­t dance. “Tout ce qu’on voulait, c’était un album dansant, très influencé par les deux années que nous venions de passer sur la route”, précise Tom Chapman, qui a rejoint New Order en 2011 et posé ses bagages à Manchester après avoir découvert la musique des Smiths. “Le fait d’entendre des groupes comme Factory Floor, très influencé par un certain son de New Order, nous a motivés dans cette démarche.” Ça et le fait que les fans du groupe aiment tout particuliè­rement ce mélange de légèreté et de mélancolie ? Bernard Sumner en a pleinement conscience : “On n’ira pas jusqu’à dire que l’on a été éduqué par notre public, mais on a clairement remarqué que celui-ci préférait nos albums dance à des production­s orientées guitares comme Waiting for the Sirens’ Call. Cela dit, on ne s’est pas laissé guider par ça. Notre volonté est de perpétuell­ement évoluer. On ne veut pas s’enfermer dans le passé, ni en composer la bande-son. C’est pour cela que nous sommes revenus avec beaucoup de synthés.”

Pour avancer, les Mancuniens ont rejoint l’écurie Mute Records, que Bernard Sumner compare à Factory Records, et se sont entourés de toute une tripotée de musiciens et producteur­s. Que l’on pense au retour en studio de Gillian Gilbert (en retrait du groupe depuis Get Ready), à la direction artistique pilotée par Peter Saville, aux choeurs d’Elly Jackson (La Roux) et Brandon Flowers des Killers, aux furies electro de Tom Rowlands (The Chemical Brothers) sur Singularit­y et Unlearn This Hatred : tous permettent à New Order de multiplier les frotti-frotta entre spleen et désordre, entre insoucianc­e et morosité. Et tous, selon Phil Cunningham, font partie du cercle d’amis de New Order : “C’est essentiel pour nous de travailler avec des gens sympas, avec qui l’on s’entend bien en dehors des studios.

Newspapers in French

Newspapers from France