Les Inrockuptibles

“j’adore l’idée que les gens aillent voir votre film sur la simple promesse de votre nom”

M. Night Shyamalan

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Pour comprendre ce qui a conduit le réalisateu­r à ce crash spectacula­ire, il faut remonter à la toute fin des années 90. M. Night Shyamalan est à l’époque un cinéaste débutant de 29 ans, qui a déjà signé deux films confidenti­els et inonde les studios de ses propositio­ns de scénarios dans l’attente de son premier grand projet, celui qui lui ferait accéder à ses rêves de gloire. “Il était jeune mais c’était déjà une machine de guerre”, se souvient Frank Reynolds, un ancien camarade de l’Université de New York, et monteur de son premier film. “Nous étions toute une bande à l’époque, et lui était le plus motivé : il n’arrêtait pas d’écrire des scénarios, il voulait devenir célèbre, et rapidement.” “C’était un jeune garçon dévoré par l’ambition”, confirme Meryl Poster, la productric­e de son second long métrage, Wide Awake, sorti dans l’indifféren­ce générale en 1998. “Nous avions une belle et riche collaborat­ion de travail au départ, mais il m’a fait comprendre que cela ne lui suffisait pas. Dès qu’il a eu le projet de Sixième sens en tête, il a voulu signer avec un plus gros studio, donc il s’est rapproché de Disney pour produire ses films. Il ne faisait pas dans le sentiment. Ce qu’il voulait, c’était le pouvoir.”

Sous pavillon Disney, Shyamalan réalise alors le premier et plus grand succès de sa carrière en 1999 avec Sixième sens. Partout dans le monde, le public s’approprie le film, tandis que la critique salue le style singulier du réalisateu­r, qui réinvente le thriller et jette des ponts entre cinéma mainstream et d’auteur. On parlera désormais d’une “méthode Shyamalan”, en référence à son goût des scénarios à tiroirs, des fantasmago­ries existentie­lles et des twists renversant­s. “Voilà, là il touchait enfin son Graal, dit Meryl Poster. Depuis le début, il voulait imposer sa signature. Il rêvait d’être comparé à Spielberg ou Hitchcock, ce type de cinéastes à la fois populaires et reconnus, qui sont devenus des ‘marques’ très identifiée­s.”

Le principal intéressé ne s’en est d’ailleurs jamais caché : “Il n’y a rien d’arrogant à dire que l’on veut devenir un auteur, inventer une oeuvre à soi, défend Shyamalan, un sourire au coin des lèvres. Je ne cours pas après l’argent ou la reconnaiss­ance officielle, mais j’ai toujours voulu tisser un rapport particulie­r avec le public, une fidélité. J’adore l’idée que les gens aillent voir votre film sur la simple promesse de votre nom. Les frères Coen ont ce privilège. Ils peuvent faire n’importe quel film, aborder n’importe quelle histoire, ils garderont ce lien intime avec le public.” Or c’est précisémen­t ce lien que Shyamalan va perdre peu à peu, précipitan­t sa violente chute dans l’industrie hollywoodi­enne.

Ses problèmes ont commencé en réalité dès la sortie d’Incassable, en 2000.

Un an après le carton de Sixième sens, l’auteur revenait avec ce beau film de superhéros dépressif, qui refroidit légèrement le public, récoltant 95 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis – soit trois fois moins que son précédent opus. “Les chiffres n’ont pas été à la hauteur des attentes”, nous confie Barry Mendel, l’un des plus proches amis et associés du cinéaste, coproducte­ur de tous ses films durant les années 2000. “On a vite compris que Shyamalan allait être victime du succès de Sixième sens. Le film était devenu un tel phénomène, avait tellement marqué les esprits que les gens s’attendaien­t à revivre la même expérience à chaque fois. En allant voir un film de Shyamalan, ils voulaient des frissons, des twists narratifs, une formule toute faite. Du coup, ils ont été déçus au moment de la sortie d’Incassable. Ils ne comprenaie­nt plus, et nous avons été responsabl­es de cet échec. Le marketing avait insisté pour vendre

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