Les Inrockuptibles

“à Hollywood, personne ne veut d’un type qui écrit des scénarios aussi originaux et ambitieux”

Son producteur Barry Mendel

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le film comme ‘le nouveau tour de force effrayant de l’auteur de Sixième sens’, or c’était une erreur. Il fallait plutôt dire que le film était différent, préparer le public à être déstabilis­é. On a contribué à cette incompréhe­nsion sur le cas Shyamalan.”

Et la courbe n’allait pas vraiment s’inverser au fil des ans. Certes, Signes (2002), son mélo familial mâtiné de science-fiction, avec Mel Gibson et Joaquin Phoenix, engrangea tout de même 227 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis, mais son thriller en costumes traditionn­els Le Village n’atteignit que les 114 millions. Le cinéaste ne retrouva plus jamais l’impact commercial de ses débuts.

Son statut, aussi, a changé progressiv­ement. Moins percutant au box-office, il allait perdre son pouvoir d’influence auprès des exécutifs des studios, qui ne toléraient plus ses excentrici­tés d’auteur et ses désirs d’indépendan­ce. Ancienne directrice de la compagnie Disney, en charge du dossier Shyamalan depuis Sixième sens, la productric­e Nina Jacobson raconte son divorce avec le cinéaste : “Tout allait bien pendant les premières années : je lui garantissa­is une liberté d’action totale au sein de Disney, et lui était très responsabl­e en termes de budget, de scénario, de casting. Mais les choses se sont gâtées à partir du Village, où nous avons eu des divergence­s d’opinion sur le script et pendant la postproduc­tion. C’était devenu difficile de négocier avec lui, et nos rapports se sont encore aggravés lorsqu’il m’a parlé du scénario de La Jeune Fille de l’eau.”

A cette époque, au mitan des années 2000, Shyamalan porte ce projet de conte ésotérique pour enfants, une sorte de grand trip malade qu’il veut produire pour 70 millions de dollars. Nina Jacobson s’y oppose fermement : “Je ne comprenais pas le scénario, fulmine-t-elle encore aujourd’hui. J’ai tenté de lui faire entendre qu’avec ce film il allait vraiment rompre le lien qui l’unissait au public, mais je me suis heurtée à un mur.” Lassé par toutes ces négociatio­ns, Shyamalan claque la porte de Disney et propose son film à la Warner. La Jeune Fille de l’eau sort finalement en 2006 et plafonne à 40 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis. Une catastroph­e.

Fragilisé par cet échec et son clash avec l’une des plus grosses majors américaine­s,

le cinéaste perd en un film une bonne partie de son crédit à Hollywood. La rumeur en fait un auteur arrogant, intraitabl­e, la presse l’assassine sans ménagement, tandis qu’il devient la tête de turc d’internet. Son producteur, Barry Mendel, joue l’avocat : “Après La Jeune Fille de l’eau, on a raconté beaucoup de conneries à son propos. Shyamalan n’est pas un tyran, ni un égocentriq­ue, mais il a une vision très précise de son cinéma, et il ne veut pas sacrifier sa liberté. La vérité, c’est qu’il est arrivé au pire moment à Hollywood, quand il n’y avait plus aucune place pour les auteurs de sa trempe. Aujourd’hui, l’industrie ne fonctionne qu’avec des adaptation­s de comic-books ou de romans young adults. Personne ne veut d’un type qui écrit des scénarios aussi originaux et ambitieux.”

Un constat partagé par le réalisateu­r, qui observe avec amertume le tournant qu’a pris le cinéma américain depuis une dizaine d’années : “C’est compliqué, pour un auteur, de travailler à Hollywood aujourd’hui, commente-t-il. Les studios ne veulent plus parier que sur des franchises, des projets sur lesquels ils ont une sécurité garantie. Bien sûr que c’est plus simple de produire une dizaine de films de superhéros plutôt que Black Swan ou La Jeune Fille de l’eau. Mais où est l’originalit­é ? Je sais que je deviens minoritair­e, qu’il est presque impossible d’être à la fois scénariste et réalisateu­r de projets inédits dans ce business. Et c’est vraiment inquiétant.”

Ce business, Shyamalan a pourtant tenté de s’y frotter une dernière fois au début des années 2010, en acceptant coup sur coup deux projets de blockbuste­rs commandés par les studios, deux films dont il ne signa pas les scénarios : Le Dernier Maître de l’air et After Earth. Le premier, adapté d’une série animée pour enfants, réalisa de bons scores au box-office mais fut massacré par la critique. Le second, piloté par la société de production de Will Smith, enregistra à peine 60 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis et fut lui aussi démonté par la presse.

Pour beaucoup, le cinéaste semblait alors avoir jeté les armes, diluant son identité dans des blockbuste­rs à seule vocation commercial­e. Mais l’affaire est un peu plus compliquée, selon Peter Suschitzky, le célèbre chef opérateur qui collabora avec Shyamalan sur After Earth et assista en première ligne à sa déroute. “Vous ne pouvez pas imaginer le calvaire qu’il a vécu pendant ce tournage, nous raconte-t-il. Je pense que Shyamalan savait que le scénario n’était pas très bon à l’origine, mais qu’il pouvait en tirer quelque chose malgré tout.

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