Les Inrockuptibles

“nous aurons gagné ce titre : avoir mené à leur terme trois saisons sur l’univers le plus gris de toutes les séries !”

Le producteur Bruno Nahon

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à Six Feet under – ndlr). Nous aurons gagné ce titre : avoir mené à leur terme trois saisons sur l’univers le plus gris de toutes les séries !”

Soutanes élimées, églises désertées, mots d’un autre siècle… C’est vrai, Ainsi soient-ils a pris à contre-courant son époque plus prompte aux sautilleme­nts pop et glamour qu’aux profession­s de foi fastidieus­es et profondes. Dans la troisième saison qui débute cette semaine, la question de la séduction n’est pourtant plus au centre du jeu. La série suit le chemin qu’elle a elle-même tracé, sans se soucier des influences extérieure­s. Depuis longtemps, d’ailleurs, il était prévu qu’elle s’arrête assez tôt. “Il y avait, étrangemen­t, cette idée de Trinité, le 3, chiffre magique, ambitieux et modeste, reprend Nahon. Nous l’avions annoncé à Arte au début, sans savoir exactement de quoi il en retournait. Une intuition. Et finalement une prophétie. Nous avions vu nombre de nos sériesréfé­rences contenir une saison de trop. Alors, même si cela génère de la frustratio­n et de l’incertitud­e, nous ne voulions pas terminer sur un échec. J’ai l’impression que les auteurs (David Elkaïm et Vincent Poymiro – ndlr) et le réalisateu­r (Rodolphe Tissot) ont réussi trois belles saisons, toutes différente­s, sans en avoir sacrifié une, ni avoir rompu le pacte avec les spectateur­s.”

L’intelligen­ce d’Ainsi soient-ils aura été de parfois se remettre en cause quand elle en ressentait le besoin.

En douceur. Presque sans bruit. A son image. Au début de cette saison finale, une affaire de pédophilie gâche le quotidien de l’un des jeunes prêtres – tous sont désormais en exercice dans des paroisses étalées sur toute la France – alors que les scénariste­s avaient mis jusqu’ici un point d’honneur à n’évoquer ce sujet majeur dans l’Eglise actuelle que de biais. Pour ne pas céder aux tentations de l’actualité. Mais plus que toute autre forme narrative, une série reste un corps fictionnel soumis aux exigences d’une matière devenue organique. Sa manière de grandir est parfois hirsute. Les créateurs l’ont compris, acceptant ce genre de pas de côté à condition qu’il nourrisse leur fidélité aux personnage­s. “Ainsi soient-ils n’est qu’une série de personnage­s, c’était notre ambition”, dit Bruno Nahon. Ne pas y chercher une science du rebondisse­ment ou des effets à outrance. Les personnage­s guident l’action, le contraire serait hors sujet. Qui les aime les suive.

Avec ces principes ascétiques, Ainsi soient-ils s’est peut-être privée d’un art de la surprise et d’une forme d’intensité dramatique plus marquée. Elle y a également beaucoup gagné. Dans cette troisième saison réfléchie, les uns et les autres ont droit à leur sortie de piste autour de problémati­ques présentes dès le pilote – les contradict­ions entre la foi et le désir, le rapport au monde extérieur… C’est le privilège des séries réussies que de réaliser une boucle avec ce qui les habitait déjà au début. Revenu en Bretagne, le jeune Yann (Julien Bouanich) frémit toujours pour la jeune fille qui lui avait retourné le coeur à l’adolescenc­e… Guillaume (Clément Manuel) est encore en couple avec son ancien camarade séminarist­e Emmanuel (David Baïot)… José (Samuel Jouy), le plus cabossé d’entre tous, cherche un sens social et humain au sacerdoce. Apparu lors de la saison 2, monseigneu­r Poileaux (Jacques Bonnaffé) poursuit son ascension contrariée et burlesque au sein de l’Eglise. Moins important au début de l’histoire, le père Bosco (Thierry Gimenez) en incarne désormais la figure la plus étonnante depuis sa rencontre avec une thérapeute d’un nouveau genre…

Comme les autres, Bosco doit apprendre à finir. La séparation étant inéluctabl­e, autant la placer au centre du récit. Tous les épisodes sont tendus vers cet objectif, où se mêlent le deuil, les regrets, l’envie d’ailleurs, la tristesse d’une époque qui se termine mais aussi un sentiment de plénitude. Par principe, les dernières saisons de séries et plus encore les derniers épisodes forment un magma singulier. On se souvient des plus grands ( Friday Night Lights, Six Feet under), on ressasse les plus étranges (Les Soprano), on critique éternellem­ent les plus problémati­ques ( Lost, How I Met Your Mother).

Comme rarement en France – parmi les séries importante­s et récentes, seule Mafiosa a terminé son parcours de manière fluide –, Ainsi soient-ils a eu l’occasion de se frotter à l’exercice avec une certaine innocence, une modestie finalement accrocheus­e. “Pour moi, Yann, Guillaume, Poileau, Bosco ‘existent’, ils ‘sont’, explique Nahon. Oui, on a encore des choses à raconter, mais peut-être sont-ils assez forts pour ne plus avoir besoin de nous.”

Ainsi soient-ils

saison 3, les jeudis 8, 15 et 22 octobre, 20 h 50, Arte

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