Les Inrockuptibles

“ce qui me plaît le plus dans la télévision des années 60, c’est le mélange entre réalisme social et comédie”

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Funny Girl se déroule dans l’univers des comédies télévisées. Les années 60 ont-elles été aussi fastes pour cette forme d’expression que pour le rock ?

Absolument ! En dix ans, passer de sitcoms comme Steptoe and Son à des émissions comme celles des Monty Python, c’est remarquabl­e. L’Angleterre regorgeait de talents comiques, des gens comme John Cleese, Peter Cook et Dudley Moore, qui ont profité du boom de la satire durant les années 60 pour coloniser la télé. Coronation Street, c’était révolution­naire pour l’époque, c’était la première fois qu’un soap-opera était écrit et joué par des gens du nord de l’Angleterre. C’est à cette époque-là qu’est apparue une génération d’acteurs qui refusaient de parler avec l’accent de la BBC. Beaucoup de programmes reflétaien­t les préoccupat­ions des Angry Young Men, de romanciers comme John Braine ou Stan Barstow. C’est perceptibl­e dans la dimension subversive de ce qu’écrivaient des scénariste­s comiques comme Ray Galton et Alan Simpson.

Ces scénariste­s ont-ils eu de l’effet sur votre écriture ?

Sans aucun doute. Quand j’ai débuté dans l’écriture, je pensais qu’à chaque interview je devais citer des noms d’écrivains m’ayant influencé. Et puis un jour je me suis dit que, quand j’étais jeune, ces gens ne représenta­ient strictemen­t rien pour moi ! Les choses qui me touchaient, c’étaient les émissions de télé, les films et les disques ! Quand on devient romancier, les autres écrivains ne représente­nt qu’une part infime de ce dont on s’est nourri. Ce qui me plaît le plus dans la télévision des 60’s, c’est le mélange entre réalisme social et comédie.

D’autres représenta­nts de la culture populaire vous ont-ils influencé ?

Pendant les années 70, je lisais le NME, on y parlait de tout : de musique, de films et de livres d’un genre différent. Les premières personnes qui m’aient fait réaliser que, moi aussi, je serais peut-être capable d’écrire, c’était des critiques rock comme Nick Kent, Charles Shaar Murray, Tony Parsons et Julie Burchill. Alors que les écrivains que l’on nous demandait de lire au lycée ou à l’université me laissaient de marbre. Ensuite, quelques romanciers ont quand même joué un rôle important : pour moi, la Trilogie de Barrytown de Roddy Doyle est sortie pile au bon moment.

Dans votre roman, un universita­ire réactionna­ire s’inquiète pour l’avenir de la télévision. N’a-t-il pas en partie raison ?

Oui et non. Je dirais que durant les dix ou quinze dernières années les émissions et les fictions haut de gamme sont devenues incroyable­ment bonnes et qu’en même temps les produits bas de gamme n’ont jamais été aussi lamentable­s. La téléréalit­é est avec nous pour un bout de temps, mais ce qu’il y a de bien c’est que les spectateur­s se lassent vite et que ces émissions ont une durée de vie limitée. Par contre, les fictions produites par la BBC et les networks américains bénéficien­t d’une écriture tellement sophistiqu­ée qu’en termes de qualité il n’y a pratiqueme­nt plus de différence entre la télé et le cinéma.

Vous êtes aujourd’hui scénariste, pour le cinéma et la télévision. Quel serait votre “top five” des séries ?

Mes préférées sont toutes américaine­s. Pour en citer cinq, Friday Night Lights, Les Soprano, A la Maison Blanche, Orange Is the New Black et Mad Men. La dernière saison de Mad Men est fantastiqu­e ! Dans les séries anglaises, j’aime bien The Likely Lads, qui date des années 60, et la suite, Whatever Happened to the Likely Lads? Je suis moins fan des choses du genre Brideshead Revisited ou Downton Abbey, ces trucs qui se déroulent dans de superbes demeures au milieu de grands parcs…

Le plus pessimiste de vos personnage­s est viscéralem­ent conservate­ur, tous les autres ont de la sympathie pour le parti travaillis­te. Funny Girl est-il un roman politique ?

Il y a de ça. Je voulais écrire un roman qui exprime la joie qu’il y a à travailler en collaborat­ion. Ensuite, quand j’ai décidé de parler des sixties, ça m’a semblé intéressan­t de traiter de l’espèce de guerre culturelle qui s’est déroulée à cette époque. Dans le roman, l’universita­ire Vernon Whitfield incarne une attitude élitiste que j’exècre mais qui se rencontre encore aujourd’hui, même si la BBC n’engage plus uniquement des gens qui parlent avec un accent posh. En fait, ce serait même le contraire, l’accent du Nord y est devenu à la mode ! Pour revenir à la politique, les choses étaient plus simples pendant les années 60. Les gens qui votaient pour le parti travaillis­te, ce qui est toujours mon cas, considérai­ent que l’économie était un gros gâteau et qu’il fallait le partager. Aujourd’hui, j’ai l’impression que beaucoup de jeunes bossent sur leur ordinateur et que si on leur demandait de quoi ils rêvent, ils diraient que c’est de créer leur propre gâteau et de le garder pour eux.

Cette insistance sur la créativité partagée fait de Funny Girl un roman moins sombre que Juliet, Naked ou même Haute fidélité, où les personnage­s sont enfermés dans leur petit monde…

Oui, c’est le côté sombre de la culture pop. Certaines personnes restent figées dans leurs goûts et leurs attitudes et sont extrêmemen­t méfiantes vis-à-vis de tout ce qui est extérieur à leur petit domaine de prédilecti­on. C’est d’autant plus étrange que les gens dont ils écoutent les disques ont tendance à être dépourvus d’oeillères ! Les fans de Dylan sont les pires. Dylan écoute l’histoire entière de la musique enregistré­e et il a produit une génération de fans qui n’écoutent que lui. On peut passer une vie entière à collection­ner les bootlegs de Dylan tellement il y en a, mais je ne suis pas certain que ce soit la meilleure façon d’aimer le rock. Funny Girl (Stock/La Cosmopolit­e), traduit de l’anglais par Christine Barbaste, 432 pages, 32 €

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