Les Inrockuptibles

Sangue del mio sangue de Marco Bellocchio

Le cinéaste italien bouscule la narration d’un récit onirique et mystérieux sans rien perdre de son esprit de rébellion.

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Nous sommes au XVIIe siècle (d’après les costumes), à Bobbio, une petite ville du nord de l’Italie (où Marco Bellocchio, est né). Un jeune homme d’armes vaillant, Federico, est venu sauver l’honneur de son frère, qui s’est suicidé pour une femme et que l’Eglise refuse d’enterrer. La femme en question est une jeune nonne, soeur Benedetta, qu’on a enfermée dans une cellule en attendant son procès. Car si elle est convaincue de sorcelleri­e, l’honneur du frère de Federico sera sauf. Mais le jeune frère va lui aussi succomber aux charmes de Benedetta, qu’on emmure bientôt. Tout se complique.

Et puis, sans prévenir, le film change d’époque et nous nous retrouvons aujourd’hui. Le couvent de Bobbio, après avoir longtemps été une prison, est désormais squatté par un vieux comte étrange qui s’y est réfugié avec un couple de domestique­s. Il ne sort que la nuit et certains le disent vampire. Or un fonctionna­ire, accompagné d’un milliardai­re russe déchaîné débarquent : le Russe désire racheter le couvent. Le comte se voit contraint de sortir de son refuge, en quête d’une aide. Contre toute attente, son corps hâve et desséché va trouver un sang nouveau…

Sangue del mio sangue est un film baroque et mystérieux, beau et envoûtant. Rien à voir avec La Nourrice ou Vincere, des oeuvres linéaires, rondes, chronologi­ques, au récit classique. Sangue del mio sangue est un film hétérogène, à la narration bousculée, dont le sens n’est pas donné d’emblée. De quoi s’agit-il ? D’un hymne à la vie, d’un film sur la vieillesse aussi, beaucoup plus intelligen­t, drôle, libre et subtil que l’affreux Youth de Paolo Sorrentino. Bellocchio, à 75 ans, à travers ce double récit, clame encore et toujours la pérennité et la force de l’amour et du désir, auxquels seule la mort peut mettre fin.

La nonne Benedetta, quand on abat le mur derrière lequel on l’a maintenue pendant des décennies, triomphe face à son ancien amoureux devenu pape : son corps est resté intact comme au jour de sa condamnati­on car, elle, n’a pas renoncé à ses sentiments, à ses sensations. Le vieux comte qui avait peur du jour, retrouve goût à la vie en tombant amoureux d’une jeune femme inatteigna­ble qui chante si bellement sous la lune.

Bellocchio égratigne au passage le monde contempora­in qui n’a pas su échapper aux institutio­ns qui plombaient déjà les sociétés du passé : l’Eglise, la corruption politique, le règne de l’argent, la justice aux ordres des puissants. Mais le ton et la mise en scène de Sangue del mio sangue demeurent toujours en retrait de tout jugement didactique définitif. Le film garde son mystère pour faire travailler notre inconscien­t, remuer en nous d’antiques peurs (du désir, de la mort), faire ressurgir le souvenir des romans échevelés dont on a oublié le titre, l’auteur, mais pas les émotions qu’ils nous ont procurées. Rarement la bonne vieille définition d’Orson Welles n’a été aussi vraie : “Un film est un ruban de rêves.” Jean-Baptiste Morain Sangue del mio sangue de Marco Bellocchio, avec Alba Rohrwacher, Roberto Herlitzka, Pier Giorgio Bellocchio (It., Fr., Sui., 2015, 1 h 46)

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