Les Inrockuptibles

The Visit de M. Night Shyamalan

Deux adolescent­s en vacances chez leurs grandspare­nts. Une farce horrifique ébouriffan­te.

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Avant que le motif ne devienne le titre de son nouveau film, le cinéma de M. Night Shyamalan a souvent fait le récit de visites. Un enfant tourmenté reçoit quotidienn­ement la visite d’un fantôme qui s’ignore : Sixième sens. Une famille d’Américains ruraux perçoit la présence menaçante de mystérieux visiteurs qui les épient depuis leurs champs de maïs : Signes. Un gardien d’immeuble voit sa quiétude troublée par le surgisseme­nt dans la piscine d’une nymphe étrange qui se dit poursuivie par des créatures malveillan­tes : La Jeune Fille de l’eau. Les personnage­s de Shyamalan sont souvent visiteurs ou visités. L’irruption toujours provisoire des uns sur le territoire des autres est la condition de la fiction. The Visit ne déroge forcément pas à la règle. Sauf que le film inverse les attributs des visiteurs et des visités. Dans les précédents films, l’extraordin­aire, l’inaccoutum­é venaient au récit sur les pas du visiteur. Ici au contraire, l’irrationne­l, la terreur, la bascule dans un régime de folie sont à chercher du côté des visités.

Il faut dire que cette fois les visiteurs ne sont guère inquiétant­s. Rebecca et Tyler Jamison sont des adolescent­s bien de leur temps. Le divorce de leurs parents ne les a pas laissés tout à fait indemnes. Mais ils ont tant bien que mal surmonté ce traumatism­e, en investissa­nt un domaine artistique avec passion. Rebecca, 15 ans, filme toute la journée son entourage. C’est à elle que Shyamalan délègue la mise en scène, à travers le procédé désormais bien connu dans le cinéma de terreur : le found footage – toutes les images que l’on voit sont censées avoir été tournées par elle, ou en tout cas sous son contrôle, lorsque son petit frère, par exemple, l’épaule avec sa propre caméra. Tyler, 12 ans, grand amateur de hip-hop, martèle des rimes à toute occasion et, assez peu modeste, n’hésite pas à qualifier son flow de “très proche de celui de Tyler, The Creator”. Lorsque le film commence, ils ont accepté de passer une semaine de vacances chez leurs grands-parents. Ils ne les ont jamais rencontrés. Leur mère ne leur adresse plus la parole depuis l’âge de 20 ans.

Les visités, ce sont donc eux, ces grands-parents inconnus, qui vivent dans une campagne reculée et se font une joie de découvrir enfin leurs petits-enfants. En surface, un charmant chromo champêtre : grand-mère fait de la pâtisserie toute la journée ; grand-père coupe du bois et s’active dans le jardin. Très vite pourtant, leur comporteme­nt part en vrille et la terreur pointe son nez. La première fois que grand-mère accepte que Rebecca l’interviewe caméra au poing, elle arrange son chignon de façon à ce que ses cheveux composent un diadème de boucles blanches. La coiffure ressemble à s’y méprendre à celle de Lillian Gish dans La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955), où l’actrice interpréta­it une aïeule protectric­e veillant à la sûreté d’une tripotée d’enfants menacés par un ogre redoutable. Ici, la gardienne et l’ogre ne forment qu’un. Robert Mitchum le chasseur se dissimule sous les traits de Lillian Gish la gardienne.

Au fur et à mesure que l’horreur se déploie, que les enfants vont au devant du plus grand péril, plusieurs pistes fantastiqu­es sont esquissées (les lecteurs qui redoutent les spoilers doivent interrompr­e ici leur lecture). Il est question d’une créature blanchâtre aux yeux jaunes, de petits extraterre­stres sous-marins qui retiennent captifs des humains dans un lac. Mais le tour de force du film est d’anéantir progressiv­ement ces pistes surnaturel­les au profit d’une cause on ne peut plus naturelle. L’agent de l’horreur dans The Visit appartient exclusivem­ent

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