Asphalte de Samuel Benchetrit
Samuel Benchetrit bazarde enfin ses effets de style et surprend avec un film social sobre et rêveur.
C’est peu dire que l’on ne fondait pas beaucoup d’espoirs dans le nouveau film de Samuel Benchetrit. Depuis près de quinze ans, l’écrivain aura tenté de s’imposer au cinéma en explorant presque tous les genres possibles (le polar maniériste J’ai toujours rêvé d’être un gangster, la comédie populaire Chez Gino ou le home-movie Un voyage) sans jamais dépasser l’état du film-gadget et des intentions clinquantes. Mais voilà qu’en adaptant ses Chroniques de l’asphalte, roman quasi autobiographique qui le fit connaître en 2005, Benchetrit signe son meilleur film à ce jour, le plus dense et intime, celui après lequel il semble courir depuis ses débuts.
Situé dans le décor d’une banlieue dévastée, Asphalte dresse le portrait d’un ado solitaire (l’excellent Jules Benchetrit, lointain cousin de l’enfant sauvage de Mommy de Xavier Dolan) autour duquel gravite un chapelet de personnages exténués, qui ont tous en commun une absence,
Valeria Bruni Tedeschi et Gustave
Kervern un sentiment de manque : ici une actrice un peu vieillissante qui ressasse ses heures de gloire (Isabelle Huppert), là un handicapé au coeur vide (Gustave Kervern) ou une mamie esseulée qui reçoit la visite d’un cosmonaute (Michael Pitt) littéralement tombé du ciel.
D’un sketch à l’autre, Benchetrit orchestre un conte empathique sur la misère affective et sociale des vies en cité. Il le fait sans apitoiement ni complaisance, mais avec une sorte de drôlerie inquiète, d’absurde rêveur évoquant un Dino Risi dévitalisé ou un Kaurismäki sans happy end. Presque entièrement débarrassé des effets de style et citations tapageuses qui encombraient ses précédents films, il atteint ici une forme d’épure sensible, qu’emblématise un plan final assez miraculeux. C’est une image simple, puissante, clôturant cet émouvant Asphalte dans un climat de terreur sociale. Romain Blondeau Asphalte de Samuel Benchetrit, avec Jules Benchetrit, Isabelle Huppert, Gustave Kervern, Michael Pitt (Fr., 2 015, 1 h 40)