Les Inrockuptibles

“j’attends toujours que l’épée des émotions tombe sur les personnage­s”

Le producteur Ray McKinnon, à l’origine de Rectify, développe une philosophi­e créatrice singulière. Rencontre.

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Depuis trois saisons, Daniel Holden, ancien condamné à mort et héros perpétuell­ement ambigu de Rectify, se confronte à l’étrange prison de la liberté. L’occasion d’interroger Ray McKinnon, le créateur de cette série rare qui impose son rythme poisseux et ses conflits moraux extrêmes.

atteint une certaine maturité. Les enjeux sont-ils très différents pour vous par rapport au début ?

Ray McKinnon – Le but est toujours de sortir du bordel dans lequel nous nous sommes mis tout seuls ! Et de ne pas égarer l’esprit de la série. Un récit comme celui-là évolue sur une ligne très fragile. Il est très facile de devenir convention­nel. En même temps, rester fidèle et vrai par rapport aux personnage­s et à l’histoire me semble une priorité. Donc, il est interdit de franchir certaines limites. C’est un travail de fourmi. Dans cette troisième saison, il a été intéressan­t pour moi d’explorer certains aspects de la série en rapport avec le monde criminel. Rectify a toujours parlé d’un crime qui avait eu lieu vingt ans auparavant et de ses conséquenc­es. Nous sommes maintenant collés au présent, car un shérif se penche sur une mort suspecte. Cet homme avance dans le brouillard et tente de recoller les morceaux alors que le spectateur en sait plus que lui. J’aime ce genre de décalage.

Daniel Holden est un personnage atypique, y compris dans le spectre des antihéros modernes. Le mot antihéros a-t-il d’ailleurs un sens à vos yeux ?

Rectify est comme une investigat­ion dont le sujet serait la condition humaine. Cette quête passe par Daniel. Il est notre personnage principal, mais je ne sais plus vraiment ce qu’antihéros veut dire. Pour moi, l’expression avait plus de sens quand les héros majoritair­es étaient encore à deux dimensions. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, dans les séries comme au cinéma, nous parvenons à inventer des figures compliquée­s. Pour moi, Daniel est à la fois héroïque et antihéroïq­ue, las et extatique, selon les heures du jour. Je ne pourrais pas le comparer à d’autres personnage­s de séries, car mon processus d’écriture n’est jamais référentie­l. Daniel est pure imaginatio­n. Mon but est de toucher à son essence en tant qu’être humain, de le faire émerger d’un trou noir.

Pourquoi privilégie­z-vous un rythme lent, contemplat­if ?

Je ne sais pas si on peut dire que Rectify est une série lente. J’attends toujours que l’épée des émotions tombe sur les personnage­s. Cela crée une vraie tension à mes yeux. Mais peut-être que dans la manière dont je vois le monde, je ralentis les choses… En tout cas, pour comprendre le sous-texte dans ce que les uns et les autres expriment, je pense qu’il faut du silence, quelque chose qu’en télévision, on s’impose de ne pas montrer. On montre ce que les gens disent, jamais ce qu’ils ne disent pas.

Etes-vous toujours en train de lutter pour imposer votre voix, qui rend singulière ?

Je lutte contre moi-même, oui. Contre tout ce qui peut me rendre convention­nel. Quelles séries vous ont marqué ? L’original de Star Trek m’a énormément plu quand j’étais enfant, avec sa vision ample du monde. Ado, j’ai adoré All in the Family, politiquem­ent et socialemen­t progressis­te. Hill Street Blues a transformé le genre policier, pour aller au-delà des crimes et faire vivre des personnage­s. Récemment, je citerais Mad Men. Quand j’ai vu le premier épisode, j’ai compris qu’il y aurait peut-être un espace pour que Rectify existe. propos recueillis par Olivier Joyard

Rectify

Rectify

Rectify saison 3 depuis le 4 octobre à 21 h sur Sundance Channel

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