Les Inrockuptibles

Console de je

Dans un essai vivifiant, Michaël Foessel défend une philosophi­e et une politique de la consolatio­n, que la modernité a abandonnée à la religion et à la psychologi­e.

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Impossible à rassasier, notre besoin de consolatio­n fait l’objet de nombreux rituels et de gestes, forcément imparfaits, mais nécessaire­s à la survie des êtres désolés. Même si la consolatio­n vient toujours après la perte, c’est-à-dire trop tard, elle reste un moment précieux qui vise à “différer le temps”, estime le philosophe Michaël Foessel dans son brillant essai Le Temps de la consolatio­n. “Il faut continuer à vivre, et à agir, en attendant qu’un savoir vienne, non plus consoler du malheur, mais en percer l’énigme.”

Interrogea­nt le sens de ce besoin et les formes qu’il prend à travers l’histoire de la pensée (de Platon et Boèce à Ricoeur et Derrida…), l’auteur défend l’idée selon laquelle la consolatio­n serait un concept philosophi­que, sans prétendre pour autant que “la philosophi­e console de quoi que ce soit”. S’il ne milite pas en faveur d’une conception consolatri­ce de la philosophi­e, Foessel démontre “qu’une philosophi­e de la consolatio­n est crédible”. Face aux larmes, la philosophi­e est une arme. Car il n’y a aucune raison d’abandonner le champ de la consolatio­n à la religion ou à la psychologi­e, comme la philosophi­e moderne, centrée sur la lucidité critique, l’a laissé faire.

Il faut apprendre aujourd’hui à “consoler les hommes de ne plus disposer des modèles anciens de la consolatio­n”, longtemps dominés par les prêtres et les sages. Or, la philosophi­e dispose de ses propres instrument­s pour faire face à la perte. Elle console moins la souffrance comme telle que la perte dont elle résulte : celle d’un proche, d’un amour, mais aussi d’un idéal politique… “Dans tous les cas, il n’y a pas de consolatio­n sans désolation : c’est sur cette désolation que la philosophi­e porte un regard spécifique.”

Consoler, c’est au fond “oeuvrer pour que l’autre reprenne le pouvoir sur le pouvoir de sa souffrance”. Mais celui qui demande à être consolé ne veut pas “céder sur son désir” : il ne s’abandonne pas au fantasme d’une réappropri­ation de ce qu’il a perdu. C’est en quoi la consolatio­n est un “art du détour”. A l’opposé d’un travail qui protège de la mélancolie en niant la perte, la consolatio­n n’est qu’une “entrée dans un dialogue motivé par le chagrin”. Foessel insiste sur cette idée : “Le geste de consolatio­n est la condition pour autre chose ; une persévéran­ce que la tristesse motive et n’annule pas.” Impuissant à restituer l’objet perdu, le consolateu­r invite à regarder autrement ce qui afflige l’être attristé, de telle sorte que la désolation du présent “ne sature pas le champ des possibles”, que le chagrin devienne l’occasion d’un nouveau commenceme­nt.

Au fil de pages magnifique­s, habitées par le désir secret de conférer à la tristesse une puissance politique de contestati­on de l’ordre établi, nourries par la volonté de faire face au tragique des temps présents et de n’y résister qu’à la condition d’entendre ses cris disséminés, Michaël Foessel nous rappelle que nous sommes tous des êtres inconsolés, tenus d’inventer des nouvelles manières d’être ensemble, de tracer des chemins pour supporter collective­ment les privations qui nous font pleurer. Jean-Marie Durand Le Temps de la consolatio­n (Seuil), 288 pages, 21 €

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