Les Inrockuptibles

Les yeux en face des trous

Mark Geffriaud invite le visiteur à une remise en question de son propre regard.

-

Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt.” Vous connaissez sans doute ce proverbe chinois. C’est à peu de chose près l’expérience proposée actuelleme­nt par l’artiste Mark Geffriaud, que l’on ne classera pourtant pas dans la catégorie des imbéciles, à la galerie gb agency. Dans cette expo minimalist­e, on trouve ainsi des “instrument­s d’observatio­n dont les formes ont été dictées par le fait de ne pas les regarder”. Soit des pierres fendues, des édifices troués, des loupes et des télescopes qui intéressen­t l’artiste non pas tant pour ce qu’ils donnent à voir que pour la façon dont ils organisent notre regard.

La première pièce est une maquette, à hauteur d’yeux, comme un “paysage cadré” sur l’imaginaire qui prévaut dans ces lieux d’observatio­n (à Jaipur, en Arménie) qui fascinent tant l’artiste. Plus loin, c’est un télescope monté sur un pied motorisé qui suit la course des étoiles et contredit le mouvement de la Terre en effectuant une rotation (invisible à l’oeil nu) de 24 heures.

Autre bizarrerie : le stéréoscop­e qui nous accueille dès l’entrée de l’exposition. A l’oeil droit, c’est une image vieille de 130 ans, réalisée par un célèbre spéléologu­e de la fin du XIXe siècle sur un site à ciel ouvert toujours visible dans les Cévennes. A l’oeil gauche, la même image, prise cette année par l’artiste. L’image double et superposée, pour n’en former plus qu’une sous l’effet mécanique de la vision, est donc doublement exotique : parce qu’elle nous transporte dans le sud de la France, sur ce site minéral où se dresse une immense pierre trouée (“à travers laquelle on peut voir l’avenir”, nous dit l’artiste) et parce qu’elle opère un raccourci temporel qui est aussi, en quelque sorte, un voyage.

Reste ces pièces minuscules à côté desquelles la plupart des visiteurs passeront sans même les voir : des barrettes en métal ou laiton que l’on trouve habituelle­ment sur nos poignées de porte. Or, a remarqué Geffriaud, l’écartement entre les deux trous de fixation des poignées correspond exactement à l’écartement entre nos yeux. “Lorsque nous franchisso­ns le pas d’une porte, notre cerveau opère un rafraîchis­sement d’écran, une remise à niveau des informatio­ns”, complète l’artiste qui, ici encore, s’intéresse tout autant à ce qui se produit lorsque nous franchisso­ns des seuils (physiques ou mentaux) qu’à la morphologi­e même de ces seuils. Et nous invite ainsi à une gymnastiqu­e du cerveau qui n’a définitive­ment rien d’idiot. C. M. Les Beaux Jours de A à B jusqu’au 4 novembre à la galerie gb agency, Paris IIIe, gbagency.fr

Newspapers in French

Newspapers from France