Les données du problème
Le sociologue spécialiste du numérique Dominique Cardon propose une radiographie critique mais nuancée de la nouvelle emprise des algorithmes sur nos vies.
Dès que l’on prononce le mot “algorithme”, de vieux et confus cours d’algèbre resurgissent dans nos esprits fâchés avec les mathématiques. On en frissonne encore. Or on ne parle que d’eux aujourd’hui, à la mesure de leur nouvelle emprise sur nos vies, de plus en plus soumises à leurs calculs secrets. Comme l’étudie le sociologue Dominique Cardon dans son nouveau livre A quoi rêvent les algorithmes – Nos vies à l’heure des big data, un nombre croissant de domaines – la culture, le savoir, l’information, la santé, les transports, le travail, la finance, le sexe… – sont “désormais outillés par des algorithmes” qui donnent aux ordinateurs des instructions mathématiques pour trier, traiter et agréger les informations (les fameux “big data”).
Si un algorithme n’est au fond qu’une série d’instructions permettant d’obtenir un résultat, le problème qu’il soulève tient précisément à la portée infinie de ce résultat. Car l’algorithme opère allégrement, à la vitesse de la lumière, un ensemble de calculs à partir de gigantesques masses de données qui lui permet de hiérarchiser l’information, deviner ce qui nous intéresse, sélectionner les biens que nous préférons et même nous suppléer dans de nombreuses tâches ! “Comme l’invention du microscope a ouvert une nouvelle fenêtre sur la nature, les capteurs numériques sont en train de jeter leur filet sur le monde pour le rendre mesurable en tout. Le savoir et les connaissances, les photographies et les vidéos, nos mails et ce que nous racontons sur internet, mais aussi nos clics, nos conversations, nos achats, notre corps, nos finances ou notre sommeil deviennent des données calculables”, explique Cardon, auteur d’un livre déjà remarqué en 2010, La Démocratie internet.
Par les effets incontrôlés qu’elle produit sur nos vies concrètes et par la captation d’une part de notre liberté, cette révolution algorithmique inquiète de nombreux observateurs. La littérature sur le sujet est, depuis des années, riche de réflexions pessimistes. Mais cette critique des