Les Inrockuptibles

Simon Liberati

Il a publié à la rentrée, autour de sa rencontre avec Eva Ionesco. Notre choix pour la couverture du numéro de rentrée littéraire.

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Trois novembre 2015, une belle journée : c’est aujourd’hui que le photograph­e suisse Edo Bertoglio me donne enfin la réponse à la question posée à la page 105 de mon livre. Il aura fallu la mort d’Edwige – Bessuand et non Bessuan comme je l’avais orthograph­ié à tort – pour que j’aie la confirmati­on de l’hypothèse Sid Vicious. Comme me l’avait laissé entendre Maripol c’est bien chez un coiffeur punk de Saint Mark’s Place qu’Eva a sacrifié sa longue chevelure d’enfance le 2 février 1979. La photo d’Edo en témoigne, elle me fascine depuis ce matin.

La même semaine, Frédérique Lescure, alias la petite Fred, une des jeunes filles d’autrefois, m’apprend que notre amie commune Laure C., l’extravagan­te petite Laure, devenue la petite Sophie d’Anthologie des apparition­s, s’est jetée au début des années 80 par la fenêtre de son appartemen­t de la rue du Cherche-Midi. J’avais inventé sa fin dans mon livre, elle était donc vraie.

L’été puis l’automne 2015 auront été placés sous le signe du scandale, de la mort, du temps retrouvé et de cette vieille ‘malédictio­n du Palace’ qui obsédait tant le personnel de l’époque.

Eva n’est pas un livre maudit puisqu’il s’est bien vendu et qu’il a été porté des Inrocks au Guardian par une vague enthousias­mante d’articles favorables, mais Eva gardera pour moi le son saturé et un peu lointain d’un album de musique rock tel que je les aimais autrefois, je pense à Raw Power, je ne sais pourquoi…

Quand Eva, la vraie, m’a vu, les yeux baissés, les hanches tordues, l’air louche à une émission de Jean-Pierre Elkabbach, elle m’a dit pour rigoler : “On dirait Gene Vincent”. Dans sa bouche, ça m’a fait plaisir, autant que ce rare commentair­e favorable qu’elle ait jamais lâché sur mon livre : “Elle est marrante ton histoire de lolita ésotérique.”

J’ai eu la rentrée que je méritais – je n’en aurais pas voulu d’autre –, bruyante, saturée, clinquante, cernée de bonnes et de mauvaises fées et finissant en queue de poisson comme une chanson de David Rochline. Je me suis épuisé à courir toute la France et la Belgique parlant devant des salles vides ou pleines d’Eva, le livre, suivi de loin par l’oeil sarcastiqu­e d’Eva, la vraie. Entre nous, on appelait cette rentrée de VRP “la tournée Que je t’aime”. Elle m’aura fatigué mais rendu heureux, j’ai perdu quinze kilos et je n’ai toujours pas gagné un rond vu les à-valoir perçus et dépensés avant la sortie du livre.

Du coup, je me retrouve pigiste comme au bon vieux temps, à faire des portraits de toutes sortes de femmes célèbres : Chloë Sevigny, Edwige, Naomi Campbell, Sarah Bernhardt, Monica Bellucci ou Carla Sarkozy. Eva se moque copieuseme­nt de moi mais Eva reste le livre de moi que je préfère et l’été 2015, commencé à Los Angeles chez Monte Hellman, dans la dérélictio­n à deux comme une période hautement chargée de cette électricit­é dont Frankenste­in animait sa créature. Dans un train de nuit, je ne sais plus lequel, je suis retombé sur cette phrase d’André Breton que j’avais pensé mettre en exergue d’Eva avant de me repentir : “Qui vive ? Est-ce vous Nadja ? Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit dans cette vie ? Je ne vous entends pas. Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-même ?” S. L.

“j’ai eu la rentrée que je méritais”

Eva

Ce texte a été écrit avant les attentats

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