Les Inrockuptibles

Famille décomposée

Dans la lignée de Transparen­t et Togetherne­ss débarque Casual, chronique adulte et douce des errances sentimenta­les contempora­ines.

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Encore une. Encore une série au format de vingt-six minutes qui mélange la comédie douce et le drame, en plongeant dans les tourments sentimenta­ux et quotidiens d’une famille en pleine crise introspect­ive. Voilà à peu près ce que l’on pense en voyant les premières images de Casual, créée pour la plate-forme de streaming Hulu par Zander Lehmann et réalisée en partie par Jason Reitman. Transparen­t et Togetherne­ss, bien que très différente­s, viennent faire un tour dans notre tête au moment des comparaiso­ns. Mais la première est plus puissante, tandis que la seconde vient d’être annulée par HBO après deux saisons. Casual occupe finalement toute seule un territoire qu’elle balise avec fantaisie et applicatio­n.

Essayer de comprendre ce qui se passe dans la tête des ados et des adultes à une époque où la liberté amoureuse a été érigée en valeur cardinale, traquer les désirs persistant­s de stabilité chez certains, les souffrance­s possibles, les blessures… Casual se lance à sa manière, modeste et parfois chuchotée, dans une étude de nos errances sentimenta­les. L’un des personnage­s principaux est d’ailleurs un trentenair­e qui a créé, d’abord pour lui-même, une appli de rencontres censée minimiser les risques de déception. Autant dire que son illusion est grande. Dans cette série plus triste qu’elle n’en a l’air, la satisfacti­on apparaît comme une denrée rare. De manière répétitive (ce qui n’a rien d’un reproche), l’intrigue se plaît à suivre minutieuse­ment les efforts de ses personnage­s pour construire quelque chose – que ce soit une histoire d’amour ou un coup d’un soir – avant que le dispositif ne grince ou, au pire, s’effondre.

Casual ou la généalogie de l’échec ? Peut-être bien, mais c’est ambigu. Prenons le personnage féminin principal, Valerie, la soeur du créateur de l’appli. Cette psy quadragéna­ire est à la fois en plein revival et dans les affres de la séparation. Quand elle surprend son mari avec une femme plus jeune, elle décide de divorcer fissa. Il restera à se partager éventuelle­ment la maison.

Interprété­e par la passionnan­te Michaela Watkins (vue dans Transparen­t, un hasard ?), Valerie tente la plupart des combinaiso­ns possibles pour reprendre les rênes de sa vie sexuelle et potentiell­ement sentimenta­le. Elle va même jusqu’à coucher avec un post-ado foutu comme un dieu, avant de se lancer dans les rencontres sur internet. Là, elle apprend de la bouche de sa fille, qui n’a peur de rien, que le fait d’envoyer une photo de sa bite – un “dickpic”, pour les puristes – représente juste une nouvelle manière de dire bonjour. Il lui faudra vivre avec cette idée. Et rester la mère de cette ado à qui, un soir, elle pique le garçon de ses rêves.

Casual observe les moeurs contempora­ines avec amusement et parfois une légère distance, ce qui la rend constammen­t charmante, surtout quand ses efforts intergénér­ationnels concernent également le troisième âge. La mère de Valerie, jouée par Frances Conroy (Ruth dans Six Feet under, rien que cela), apporte une épaisseur supplément­aire à la série en ne cédant jamais sur ses désirs et en n’excusant jamais son mode d’éducation que l’on devine assez détaché.

En plus de couvrir ce large spectre de personnage­s, Casual parvient aussi à décentrer plutôt subtilemen­t les clichés genrés sur le rapport des hommes et des femmes à la sexualité. Voici une série où un personnage masculin peut s’entendre dire, à propos de la blonde avec laquelle il couche : “Tu es sa maîtresse.” Sous la surface presque banale des coucheries­tromperies-retrouvail­les, rien n’est anodin. Olivier Joyard

dans cette série plus triste qu’elle n’en a l’air, la satisfacti­on apparaît comme une denrée rare

Casual saison 1, à partir du 1er juin, 20 h 40, Canal+ Séries. Saison 2 à partir du 22 juin

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