Les Inrockuptibles

Dingue de toys

Olivier Bonnard conte les aventures d’un “chasseur de jouets” obsédé par un robot aux pouvoirs surnaturel­s. Une Recherche du temps perdu en mode geek.

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Collector s’ouvre sur une première scène cocasse. Pendant que sa copine est sous la douche, Tom va en douce sur le net, non pour mater du porno mais pour acheter aux enchères sur eBay X-Or, le robot du dessin animé japonais des années 1980, pour la modique somme de 1 234 euros. “T’es addict, ces jouets sont en train de te bouffer !”, s’énerve Pénélope. Tom est un toy hunter : de greniers en magasins spécialisé­s et autres sites de nerds, il traque compulsive­ment les jouets de son enfance et, plus généraleme­nt, tout ce qui pourrait le ramener à cette année 1985 de ses 11 ans – l’odeur du Nesquik, l’excitation de Récré A2 qui commence bientôt à la télé. Il éprouve une “satisfacti­on intense, indicible” à mettre ses figurines dans des vitrines, “accrocher un de ses graals à son tableau de chasse”.

Loin de se limiter à une digression mélancoliq­ue sur l’adulescenc­e, le roman s’emballe vite et dégénère en un polar sombre et sexy, compulsif et effréné. L’écriture, élégante et pop, est nourrie de références au cinéma hollywoodi­en (l’auteur, aussi critique de cinéma, fut correspond­ant à Los Angeles pour Le Nouvel Obs). Le récit est fuselé comme le scénario d’un bon film d’aventures, ou Retour vers le futur, cité en exergue du livre. Il explore, comme le film de Robert Zemeckis, les paradoxes métaphysiq­ues du voyage dans le temps, le héros se retrouvant bloqué dans son propre passé.

Si notre Ulysse se laisse séduire par le chant des sirènes que sont ses toys, l’un d’entre eux va le précipiter vers des abysses insoupçonn­és : ArkAngel, le prince des ténèbres. Un jouet prétendume­nt magique, convoité par tous, qui serait capable de vous ramener en enfance. Pour mettre la main dessus, Tom trahit son meilleur ami, oublie sa Pénélope, dilapide ses économies : “La boîte elle-même était un petit chef-d’oeuvre de pop art, avec ce double liseré rouge et or autour de la fenêtre, ces illustrati­ons mettant en scène le robot dans des combats intergalac­tiques dantesques, sans oublier le logo d’époque TF1, une madeleine de Proust à lui seul.”

ArkAngel est un totem, l’emblème qui relie entre eux les membres

de la tribu des toy hunters. Il tient aussi du fétiche, au triple sens anthropolo­gique (le fétiche comme incarnatio­n de puissances supra-humaines), psychanaly­tique (l’objet fétiche comme le pénis attribué par l’enfant à sa mère avant l’OEdipe) et politique (le fétichisme de la marchandis­e de Marx, le toy hunting comme symptôme de notre société d’hyperconso­mmation, l’aliénation qui va avec).

On peut y ajouter une quatrième dimension : le fétichisme comme une figure pervertie de l’amour. Les descriptio­ns magistrale­s de certains passages de Collector portent le roman au niveau de chefs-d’oeuvre littéraire­s ayant pour thème l’amour malheureux, Le Musée

de l’innocence d’Orhan Pamuk ou La Vénus à la fourrure de Leopold von Sacher-Masoch. Ou comment se rattacher aux souvenirs d’un être aimé en exhumant les objets lui ayant appartenu, objets d’autant plus intéressan­ts que les êtres humains peuvent, eux, se révéler décevants. Yann Perreau

Collector (Actes Sud), 320 pages, 21,80 €

le récit est fuselé comme le scénario d’un bon film d’aventures, ou Retour vers le futur

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