Le vrai du faux

REVUE : sous ce nom programmatique se cache, ou plutôt s’affiche, un magazine pas comme les autres, et même un anti ou un contre-magazine, né de l’imagination de l’artiste Nicole Tran Ba Vang.

Dans un geste de (dis)torsion critique dont naguère surréalistes et situationnistes firent un usage ravageur, REVUE reprend et détourne les codes (papier glacé, lettrage doré en couverture, photos retouchées, publicités clinquantes, etc.) caractéristiques de ces interchangeables périodiques aseptisés servant avant tout de supports à l’industrie de la cosmétique et du (faux) luxe.

Dès la couverture, le détournement de fond – et de forme – est manifeste. En lieu et place de telle actrice ou top-model en vogue décochant un sourire plus ou moins aguicheur au lecteur, une jeune femme portant un diadème argenté grimace les yeux fermés (jeune et chipie ?). En surimpression de la photo se détachent des titres qui moquent les clichés dont une certaine presse fait abondamment commerce : “You Will Never Die”, “No Stress Just Strass”, “On ne se brode pas tous les jours les jambes” ou encore le délicieux “Pour cet hiver le gras se portera plutôt vers le haut des cuisses”.

Il suffit ensuite de feuilleter ce vrai-faux magazine (tellement plus réel que les autres) pour constater que le contenu se situe lui aussi à l’opposé de la futilité mercantile ordinaire : fausses pubs pour des parfums, bijoux, produits de maquillage ou sacs alternent avec des photos et des peintures stylées et/ou décalées – le tout entrecoupé de textes analytiques de contributeurs divers (Marie Darrieussecq, Michel Nuridsany, David Zerbib…). Semées au gré des pages, des citations de penseurs tels que Duchamp, Debord, Warhol ou Barthes achèvent de rendre cet objet non conforme.

Glissé vers la fin, un avertissement lève le voile : “CECI N’EST PAS UN MAGAZINE. REVUE est une oeuvre dans laquelle toute coïncidence ou ressemblance avec des personnes ou des marques de luxe existantes relève d’une intention perverse et délibérée du lecteur à imputer à la réalité mais je ne saurais que l’y encourager. Le lecteur est fortement incité à être libre.” Signé : Nicole Tran Ba Vang.

Connue en particulier pour ses Collections, des séries photographiques dans lesquelles elle subvertit avec une inventivité malicieuse l’imagerie de la mode et de la pub, l’artiste française d’origine vietnamienne est en effet l’instigatrice de ce projet éditorial très spécial qui, couvrant vingt ans de création à travers de nombreuses illustrations, s’apparente aussi à une sorte d’ auto monographie pleine d’ ironie. Jérôme Provençal

REVUE – Ceci n’est pas un magazine (Editions Dis Voir), 176 pages, 29 €, en librairie