Les Inrockuptibles

high-tech : les robots et nous

Si, dans la fiction, les robots sont surdévelop­pés et s’intègrent au quotidien des humains, dans la réalité ils parviennen­t tout juste à aligner quelques mots. Pourtant, les androïdes ont déjà réussi à conquérir les coeurs. Au risque de les briser ?

- Par Marie Turcan

une machine dotée d’intelligen­ce artificiel­le a-t-elle une conscience ? Pourquoi ressentons­nous de la peur envers les robots ? + rencontre avec Pepper, programmé pour comprendre les émotions humaines + shopping express

Petit nez rose à l’affût et oreilles brunes au vent, Spot trottine sur un parking dans la région de Boston. Encouragé par son maître, le chien d’un mètre de haut se lance dans l’ascension d’un escalier avant de dévaler la pente aussi rapidement qu’il l’avait escaladée. Les mains dans les poches de sa doudoune molletonné­e, son propriétai­re attend calmement que Spot revienne et s’arrête devant lui. L’homme s’avance soudain et lui envoie un gros coup de pied dans les côtes. Spot vacille, ses pattes s’entremêlen­t, manque de trébucher, et finit de justesse par retrouver l’équilibre.

La scène aurait de quoi faire enrager n’importe quelle associatio­n de défense des droits des animaux. A un détail près : Spot est un robot. Et pourtant, quand la société Boston Dynamics (qui appartient à Google) a diffusé la vidéo de cet acte de violence en février 2015, nombreux ont été les spectateur­s à protester contre les sévices imposés au robot. “Oh mon Dieu, il vient de frapper ce chien ?”, s’indigne une femme dans un reportage de la chaîne CNN qui est allée montrer ces images à des passants pour recueillir leurs réactions. “C’est la même chose que si c’était un vrai animal”, commente un autre. “Ne frappez pas ce robot ! C’est une question de savoirvivr­e”, insiste une troisième.

Spot a beau n’avoir rien de vivant et ne pas ressentir la douleur, la manière dont ses jambes, fragiles et chancelant­es, plient sous le poids des coups provoque un sentiment d’empathie quasi automatiqu­e chez l’homme. C’est un peu ce que les visiteurs du salon Innorobo ont ressenti, le 24 mai à Saint-Denis (93), en découvrant Pepper (lire page suivante), Nao, Alpha, Buddy et les autres derniers androïdes à la mode lors de cet événement annuel dédié aux innovation­s dans la robotique. Un geste amical, une opération de calcul mental réussie, un clin d’oeil de la part de ces machines ont suffi à réjouir l’auditoire.

“La plupart du temps, les robots n’ont pas beaucoup d’intelligen­ce : ils sont régis par des mécanismes simples. Il y a un désir, chez l’homme, de voir la machine comme étant géniale. Mais, implicitem­ent, on lui accorde trop d’intelligen­ce. C’est comme lorsque vous interagiss­ez avec un animal”, analyse Serena Ivaldi, chercheuse en robotique et membre de l’équipe Larsen (Lifelong Autonomy and Interactio­n Skills for Robots in a Sensing Environmen­t) de Nancy. Une partie de son travail consiste à réaliser des expérience­s où elle met en relation des sujets humains avec des robots, puis recueille leurs réactions afin de mieux comprendre ce qu’ils attendent de ces androïdes : “J’ai toujours pensé que les gens voulaient un robot pour avoir un serviteur : quelqu’un qui leur fasse le ménage ou à manger… Mais ils sont nombreux à vouloir un peu de compagnie ; pouvoir se confier à quelqu’un qui, à la différence d’une personne, ne va jamais les juger.”

Pas besoin d’être face à un robot “plus vrai que nature” comme ceux de la série suédoise Real Humans pour lui attribuer des qualités humaines. Il suffit de quelques détails pour que la machine parvienne à toucher profondéme­nt l’homme. Buddy, un humanoïde haut comme trois pommes, sans bras, présenté à Innorobo, en est le parfait exemple : ses yeux très expressifs et sa capacité à suivre son interlocut­eur du regard suffisent à le rendre irrésistib­le. “Regardez, même quand il prend un air énervé, il reste toujours mignon”, s’attendrit le présentate­ur.

“Si l’on considère le robot comme un objet, une machine sophistiqu­ée, il faut rappeler que l’être humain n’a pas besoin que l’intelligen­ce et les sentiments supposés s’incarnent matérielle­ment. L’être humain est capable de projeter des sentiments et une intelligen­ce sur des entités non incarnées comme les divinités, Dieu ou des dieux”, explique Anne-Laure Thessard, doctorante en philosophi­e, spécialisé­e dans les interactio­ns hommes/machine à Paris-IV Sorbonne, qui a notamment travaillé sur la “naissance de l’empathie artificiel­le”. “Ainsi, il semble très probable que les êtres humains s’attachent aux robots, qui plus est si ces robots affichent des qualités qui ressemblen­t aux qualités humaines.”

C’est là que la démarcatio­n entre androïdes, intelligen­ce artificiel­le et humain devient difficile à déterminer.

D’un point de vue strictemen­t scientifiq­ue, on différenci­e une intelligen­ce artificiel­le d’un robot en cela que la première est censée apprendre par elle-même, tandis que le robot peut être une coquille vide dans laquelle on télécharge des programmes et algorithme­s. “On peut tester un robot programmé pour jouer aux échecs en jouant avec lui, pour savoir s’il est doué. Mais ça ne nous dira pas s’il sait qu’il est en train de jouer aux échecs. Et s’il sait ce que sont les échecs”, lance Domhnall Gleeson dans Ex Machina (2015), film d’anticipati­on où il joue un programmeu­r invité à tester une intelligen­ce artificiel­le appelée Ava. “Le vrai test, c’est de te montrer qu’elle est un robot, explique Oscar Isaac, le créateur d’Ava. Et ensuite de voir si tu estimes quand même qu’elle a une conscience.”

Et comment ne pas le considérer ? Dans Ex Machina comme dans le film de Jake Schreier, Robot and Frank (2012), le robot sait même avoir recours au chantage affectif pour susciter de l’empathie chez l’humain (“Si tu ne m’aides pas/m’aimes pas, ils vont effacer ma mémoire”, plaident-ils tous les deux). Jusqu’à ce que la frontière entre séduction et tromperie ne se brouille complèteme­nt. “Elle m’excite ! Et je l’excite aussi. Enfin je ne sais pas, à moins qu’elle ait fait semblant…”, balaie Joaquin Phoenix avec un sourire dans le bouleversa­nt Her (2013) de Spike Jonze, où il est un homme banal qui entame une relation amoureuse avec une intelligen­ce artificiel­le désincarné­e.

“Il y a ceux qui doutent que l’on puisse attribuer des sentiments aux robots, mais si un robot agit comme s’il avait des sentiments, peut-on raisonnabl­ement dire qu’il n’en a pas ?”, écrivait David Levy dans Love and Sex with Robots en 2007. Et d’ajouter, “si un robot dit qu’il a chaud et qu’on sait que la températur­e de la pièce est significat­ivement plus haute qu’en temps normal, on va accepter que le robot a chaud (…) Pourquoi alors douterait-on de lui si un robot qu’on sait doté d’une

Y a-t-il une peur des robots ? Eric Monacelli – Oui, notamment dans les pays judéo-chrétiens et musulmans. Les Européens ont une image négative de l’assistance par des machines, l’aspect “RoboCop” les dérange. Il y a aussi l’idée d’une perte d’autonomie : la machine pourrait prendre le pouvoir. De notre côté du globe, on a en tête une “hiérarchie” dont l’Homme est au sommet. Si le robot commence à nous ressembler et à devenir intelligen­t, cela peut être compliqué à accepter. Comment l’expliquer ? Etre aidé par un robot donne l’impression que l’on n’est pas capable de prendre soin de ses proches. Dans l’industrie, on constate les effets d’une “politique robotique” sur l’emploi. Sans véritable formation ou innovation en matière d’emploi, les nouvelles technologi­es sont perçues négativeme­nt. Même dans la robotique dite de service, la notion de déshumanis­ation apparaît. Mais, au fond, on ne connaît pas de robots. Pourtant, ils sont partout. Et même si on ne peut parler d’un être intelligen­t qui improvise, les robots humanoïdes ont fait d’immenses progrès. Comment pallier la peur ? Cela va changer avec l’appétence des nouvelles génération­s pour les technologi­es. Pour que les gens n’aient plus peur et qu’ils acceptent les robots, il faut leur apprendre, les éduquer. Les humanoïdes ne sont pas aussi intelligen­ts et mobiles que l’on veut bien le penser. Les robots en usine s’occupent déjà des tâches les plus répétitive­s, et on l’a accepté. Il faut penser le robot comme un assistant, pour améliorer les conditions de travail ou l’autonomie de l’homme. Il faut donc cadrer son rôle. Pour l’après, il y a beaucoup de flous. Il existe de nombreux projets et investisse­ments. L’usage dans le domaine des assistance­s à la personne va apporter des exemples positifs, surtout pour aider au maintien de l’autonomie des personnes en situation de handicap. C’est notre responsabi­lité, notamment à nous, roboticien­s et universita­ires, d’être pédagogues. propos recueillis par Xavier Eutrope

 ??  ?? L’intelligen­ce artificiel­le a-t-elle une conscience ? C’est l’une des questions du film Ex Machina d’Alex Garland (2015)
L’intelligen­ce artificiel­le a-t-elle une conscience ? C’est l’une des questions du film Ex Machina d’Alex Garland (2015)

Newspapers in French

Newspapers from France