Les Inrockuptibles

LUH et approuvé

Fin 2012, le chanteur Ellery Roberts tuait sans sommation sa merveilleu­se création : le collectif WU LYF. Accompagné de sa muse Ebony Hoorn, il revient avec un groupe au nom aussi mystérieux : LUH. L’occasion de les retrouver à Manchester, où tout a comme

- Par JD Beauvallet

l’ex-chanteur de WU LYF revient accompagné d’une muse et d’un groupe au nom aussi mystérieux… Rencontre à Manchester

En cette fin de printemps, Manchester rase les murs de briques, ne pavoise pas. Depuis qu’un Yalta invisible avait décidé qu’au moins un des deux clubs de foot de la ville se hisserait sur le podium de la Premier League anglaise, la ville avait perdu l’habitude de la défaite, de la normalité. Mais il y aura quand même, si l’on en croit la presse musicale anglaise, un champion d’Angleterre venu de Manchester : LUH (pour Lost Under Heaven).

Même si le duo vit à Amsterdam, LUH restera à jamais un groupe de Manchester. Et si la presse s’excite autant sur LUH, c’est sans doute parce qu’elle était spectacula­irement passée à côté du précédent groupe d’Ellery Roberts, les regrettés WU LYF, sans doute le groupe de rock anglais le plus excitant, puissant et obstiné de cette décennie, voire de ce siècle. Le groupe, logiquemen­t, a payé cher l’intensité et la violence rentrée de ses concerts, en se séparant après seulement un album et quelques dizaines de concerts. C’est pourtant en touriste, sans bagage, qu’Ellery Roberts revient à Manchester. “Je ne connais déjà plus la ville, la scène. A la fin, la ville était devenue toxique pour moi. Je l’ai quittée le jour où j’ai tué WU LYF. Je m’y sens étranger. Je ne supportera­is plus le nihilisme, le cynisme de la scène locale. Tout ça manque de défis, d’ambitions. Tu te fais dégommmer dès que tu essaies de t’extirper de ça.”

On avait découvert WU LYF dans le flou d’une communicat­ion énigmatiqu­e, bâtie sur des slogans situ, des visages masqués, des clips opaques, des jeux de pistes (concerts secrets, bandana comme sésame) qui remettaien­t enfin du mystère, voire de l’ésotérisme, dans le rock anglais. On avait logiquemen­t appris la démission du groupe dans les mêmes circonstan­ces mystérieus­es, par un message laconique du “ministre de l’informatio­n”, le chanteur Ellery Roberts.

Signe de cette coupure nette : LUH, sur scène, ne touche pas au répertoire maudit de WU LYF. Le lien est coupé, après une longue période de décomposit­ion dont Ellery se souvient avec effroi. “Dès le départ, il y a eu des frictions explosives entre nous. Pendant longtemps, elles ont nourri, propulsé notre musique. Puis elles l’ont empoisonné­e. Il n’y a jamais eu de plaisir pour moi, mais j’étais prêt à le sacrifier au nom de la créativité. Cette lutte permanente a fini par nous immobilise­r ; nous stagnions. Ils étaient excellents musiciens, mais il y avait clairement une faille entre eux et moi, humainemen­t. Nous avons grandi ensemble, sommes passés de la naïveté, de l’idéalisme à la découverte du monde. J’ai retrouvé récemment mes journaux intimes de l’époque suivant notre album, j’écrivais : ‘Il est temps de tenter autre chose, ce groupe ne m’apporte plus de joie.’ Mais nous sommes à nouveau amis aujourd’hui.”

En sortant de WU LYF, Ellery trouve une compagne fidèle et possessive : la dépression. Il songe à tout plaquer, y compris la musique, fait de la maçonnerie dans l’entreprise paternelle, revient même vivre dans sa chambre d’enfant chez ses parents, à une heure de Manchester et de son agitation. “J’ai vraiment pensé à disparaîtr­e, à vivre loin de tout, comme J. D. Salinger. Et je me suis alors rappelé que je n’avais pas vendu beaucoup de disques, que je n’avais pas un sou, que ma cavale ne durerait pas bien longtemps.”

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Ellery Roberts et Ebony Hoorn

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