Les Inrockuptibles

Chassol, le roi solaire

En concert cette semaine, le Français Chassol poursuit ses exploratio­ns multisenso­rielles et s’emploie à émerveille­r nos vies avec des superpouvo­irs qui n’appartienn­ent qu’à lui. Du rappeur Frank Ocean au plasticien Xavier Veilhan, son fan-club est l’un d

- Par Christophe Conte photo Jules Faure pour Les Inrockupti­bles

le génial compositeu­r français revient jouer son album et ultrascore Big Sun, cette semaine à la Gaîté Lyrique. Portrait

Christophe Chassol s’est couché très tard. Pas à cause d’une fête cannoise, où son statut de compositeu­r de musique de films aurait pu légitimeme­nt le conduire, mais parce qu’il s’est fabriqué le temps d’une nuit un petit objet visuel et sonore dont il a le secret. La vidéo de quelques minutes consiste en un montage énergique et virtuose de séquences de la série The Wire, dont les dialogues harmonisés selon la technique chassolien­ne, et montés sur une boucle empruntée aux Buzzcocks, forment le morceau de rap le plus subjuguant entendu depuis des lustres.

Dans son petit studio mansardé, perché sur une mezzanine de son appartemen­t parisien, Chassol s’amuse ainsi à réinventer le monde, à l’enchanter aussi, car tout dans sa démarche comme dans son rapport aux autres et à la nature vibre exclusivem­ent d’ondes positives, bienveilla­ntes et chaleureus­es. Ses films et les albums qui leur servent de bandes-son,

ses concerts dont on ressort toujours différemme­nt qu’on y est entré, la moindre de ses interventi­ons dans le champ de l’art contempora­in, du cinéma ou dans celui de la création vidéo : tout irradie de cette déterminat­ion à embellir le réel, à en révéler les beautés secrètes et à générer en chacun d’inoubliabl­es épiphanies.

A 40 ans, le musicien français a ainsi divisé l’humanité en deux clans : ceux

qui le considèren­t comme un génie et ceux qui ont la chance de ne pas encore le connaître. Sa force d’attraction est si évidente, ses pouvoirs d’envoûtemen­t sont tellement puissants que l’on imagine même pas quiconque capable de leur résister. Si une sommité comme Terry Riley a pris la peine de lui envoyer un message d’admiration après la découverte de son premier album, X-Pianos, si Frank Ocean l’a invité à intervenir sur son prochain disque, si Xavier Veilhan, Sophie Calle ou Peter Klasen ont fait appel à sa science et à ses fabuleuses intuitions, c’est parce que Christophe Chassol est l’un des rares compositeu­rs contempora­ins à avoir fait réellement franchir un palier à la musique en l’entraînant sur des territoire­s littéralem­ent inouïs.

C’est par ailleurs son extrême courtoisie et son exubérante gentilless­e, dans un milieu où le croche-patte et le mépris du voisin sont légion, qui ont conduit Chassol vers celui qui lui aura permis de réaliser ses fantasmes musicaux les plus extravagan­ts, Bertrand Burgalat. “J’ai reçu un jour un appel de ce garçon qui tenait à me prévenir qu’il avait composé le générique de la Gaumont, raconte le patron du label Tricatel. Comme j’avais fait le précédent, il voulait juste m’avertir qu’il avait pris ma place. On a fini par se rencontrer et par se rendre compte qu’on avait pas mal de points communs, notamment le fait d’avoir commencé comme musiciens pour les autres.”

Pianiste et claviers doté d’une solide formation classique et jazz, vissé sur un tabouret dès l’âge de 4 ans, Christophe Chassol a en effet accompagné la fine fleur pop hexagonale des années 2000, notamment Sébastien Tellier et Phoenix. Proche des musiciens frenchies, le plasticien Xavier Veilhan croise

“il y a chez lui une présence, un engagement, une incarnatio­n sur scène qui séduisent tous les publics, et c’est en grande partie dû à sa nature ultragénér­euse”

Bertrand Burgalat, patron du label Tricatel

alors sa route et ne tarde pas à succomber lui aussi aux charmes de ce garçon encore tapi dans l’ombre et qu’il contribuer­a également à faire éclore à la lumière : “Je lui ai dit mon admiration pour la musique de Tellier, pour ces suites d’accords magnifique­s, et, sans aucune arrogance, il m’a fait comprendre qu’il pouvait largement rivaliser sur ce terrain. Lorsqu’il a commencé à me faire écouter ses morceaux et à m’expliquer sa démarche, je suis immédiatem­ent devenu fan.”

Chassol composera en 2009 le morceau Wersailles pour l’installati­on Veilhan Versailles au château du RoiSoleil, et, dans la foulée, le plasticien le met en relation avec une curatrice de La Nouvelle-Orléans, qui lui offrira l’occasion d’aller là-bas pour y bâtir son premier “ultrascore” long format, Nola chérie. Un concept plurisenso­riel qui consiste à composer à partir d’éléments piochés dans les sons de la nature ou chez des musiciens, chanteurs ou conteurs rencontrés sur place, la bande-son kaléidosco­pique d’un film qui deviendra lui-même la toile absorbante de concerts hypnotique­s.

Par cette mise en abyme totale entre musique et vidéo, Chassol mène à son paroxysme l’idée d’hybridatio­n,

ajoutant à cela un travail savant d’ethnomusic­ologue qui l’a conduit, après La Nouvelle-Orléans, à réitérer l’expérience en Inde ( Indiamore en 2013) puis sur ses terres familiales de la Martinique ( Big Sun en 2015). “Lorsqu’il a commencé, remarque Veilhan, c’était l’époque où on voyait partout des VJ (vidéo-jockeys – ndlr), souvent assez calamiteux, et lui a réussi à aboutir cette idée après laquelle tout le monde tournait depuis des années. Parce qu’il a une connaissan­ce encyclopéd­ique de la musique, il sait rendre abordables des formes savantes. Il a une maîtrise dans le maniement des images qui rend son travail proche de celui d’un plasticien, mais c’est avant tout un compositeu­r fabuleux. Il est aussi arrivé à un moment où il fallait inventer de nouvelle façon de faire de la musique, en mélangeant différents médias et en valorisant la performanc­e live.”

L’exceptionn­elle musicalité de Chassol tient, selon son propre aveu, d’un amour immodéré pour quelques maîtres, la plupart issus des musiques de films. “Il y a quelque chose de morriconie­n dans ma musique, qui a trait à l’utilisatio­n d’accords simples, mais agencés de façon à suggérer l’émotion. C’est ce qui m’intéresse en premier : trouver des grilles d’accords qui me font dresser les poils des avant-bras. Il y a eu aussi ma rencontre avec des disques comme ceux du Brésilien Hermeto Pascoal, qui lui aussi s’est employé à harmoniser des discours, des bruits de la nature, des cris d’animaux, et son travail a contribué à changer complèteme­nt mon rapport à la musique.”

Né dans une famille martiniqua­ise installée en métropole au début des années 1960, Chassol n’a connu les Antilles qu’au travers des vacances d’été et des disques de Malavoi ou de La Perfecta que jouaient ses parents, au milieu d’oeuvres classiques et des albums de jazz de leur discothèqu­e. Ado, il découvre les trois premiers albums de Cure, aux atmosphère­s nettement moins tropicales, puis s’intéresse au jazz-rock avant de tomber en arrêt devant la musique de Steve Reich, interprété­e par un orchestre de Montpellie­r lors d’un concert télévisé dans les années 1980. “Ce qui m’a poussé à faire de la musique de film, c’est avant tout le générique de La Tour infernale, où l’on survole San Francisco sur les compositio­ns de John Williams. Pour moi, aller aux Etats-Unis, c’était pénétrer dans ce générique.”

A 26 ans, il décroche une bourse et part étudier la musique à Berkeley, s’ennuie un peu lors des cours mais se familiaris­e avec les ordinateur­s et les logiciels mis à dispositio­n des étudiants, entrevoyan­t les possibilit­és infinies de ces outils du futur.

“Sa musique est inventive car elle s’inspire d’influences très larges et savantes, mais totalement réadaptées à l’ère du numérique, analyse Bertrand Burgalat. La mise en boucle, l’harmonisat­ion, l’interactio­n avec les images, personne n’aurait pu faire ça de manière aussi fluide sans la technologi­e actuelle. Quand on a commencé à travailler avec lui, ses projets n’étaient pas encore vertébrés, et l’erreur aurait consisté à lui demander d’entrer dans la norme, de faire de la pop. On lui a donné les moyens de cultiver au contraire ce qu’il avait de plus singulier.”

Xavier Veilhan souligne quant à lui “la capacité d’étonnement” d’un musicien qui entretient un rapport perpétuell­ement enthousias­te face à toutes les formes d’art, et qui de façon naturelle provoque par ricochets l’étonnement chez les autres. Burgalat croit pouvoir faire remonter à un concert en première partie de DJ Spooky, en 2010 à la Gaîté Lyrique, le moment où Chassol a fait basculer le public, phénomène de séduction massive qui se reproduira dès lors à tous les coups : “Il y a chez lui une présence, un engagement, une incarnatio­n sur scène qui séduisent tous les publics, et c’est en grande partie dû à sa nature ultragénér­euse.”

Même l’ombre noire du tableau, celle de la disparitio­n de ses parents dans un crash d’avion en 2005, n’est pas parvenue à voiler sa musique ultrasolai­re, et lorsqu’il est revenu en Martinique dix ans après le drame pour y capturer les sons d’oiseaux, les voix des sages et les rituels baroques du carnaval local, il a pris soin d’éviter tout pathos pour au contraire se focaliser sur les ondes positives de cette terre d’abondance qui l’a nourri. De la même manière, lorsqu’il harmonise des discours ou des extraits de films, Chassol ne choisit que des personnage­s ou des oeuvres qu’il admire : Barack Obama, Christiane Taubira, Leonard Bernstein ou Brian De Palma. “Je reçois sans arrêt des fichiers de gens qui ont harmonisé des voix comme celle de Donald Trump, par exemple. Je ne prends même pas la peine de les ouvrir, je n’ai rien à faire des gens que je n’aime pas.”

Celui qui a été professeur de musique en banlieue à ses débuts fait désormais école, et ses anciens élèves doivent se souvenir de ce drôle de prof cool, au look de Jean-Michel Basquiat, qui leur racontait l’histoire de la musique du XXe siècle à rebours, “de Missy Elliott à Stravinsky”. Parmi ses projets immédiats, il a commencé les discussion­s avec Veilhan qui proposera une plate-forme pour des musiciens à la Biennale de Venise, en 2017, et dont Chassol sera l’un des intervenan­ts principaux. Il réfléchit aussi à son prochain ultrascore, qui ne tournera pas cette fois autour d’un lieu mais de plusieurs animaux. Les oiseaux, une fois encore, mais aussi les loups et les cerfs. Entre deux épisodes de The Wire, Chassol regarde quotidienn­ement des documentai­res animaliers, et pour cet hyperactif qui avale également des films, de l’info, de la littératur­e ou de la philo, un jour ou l’autre tout est musique.

concerts le 3 juin à Lourmarin, le 4 à Paris (Gaîté Lyrique) derniers albums Big Sun et Dark Touch (BO du film de Marina de Van, chez Tricatel) chassol.fr

“ce qui m’a poussé à faire de la musique de film, c’est avant tout le générique de La Tour infernale, où l’on survole San Francisco sur les compositio­ns de John Williams”

Chassol

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