Les Inrockuptibles

Macaulay Culkin, héros éternel

Le fric, la dope, la célébrité, Michael Jackson, les pizzas : Macaulay Culkin, le héros éternel de Maman, j’ai raté l’avion, dresse le bilan d’une vie mouvementé­e. Confession­s d’un ex-enfant-star revenu des enfers d’Hollywood.

- Par Romain Blondeau photo Gaël Turpo pour Les Inrockupti­bles

fric, dope, célébrité, pizzas… Confession­s d’un ex-enfant-star revenu des enfers d’Hollywood

On aura tout lu ou presque à son propos. Depuis qu’il a pris sa retraite anticipée à l’âge de 14 ans, après plus de dix ans de carrière qui le hissèrent entre 1990 et 1994 dans la liste des acteurs les mieux payés d’Hollywood, Macaulay Culkin s’est retrouvé cantonné aux recoins les plus deep d’internet et des magazines people, réduit au statut d’icône déchue. Présenté comme un alcoolique et junkie shooté à l’héroïne, annoncé mort par overdose dans plusieurs hoaxes immédiatem­ent démentis, le héros de Maman, j’ai raté l’avion traversa ces deux dernières décennies tel un survivant fantomatiq­ue, abîmant chaque année un peu plus le souvenir du chérubin blond et angélique des nineties.

Le jeune homme que l’on rencontre ce 9 mai dans un salon du XIe arrondisse­ment parisien n’a pourtant rien à voir avec la rumeur médiatique qui le précède. Veste noire cintrée, longue crinière blonde et vernis rouge clinquant sur les ongles, Macaulay Culkin, désormais 35 ans, porte beau un style néoglam et affiche une santé insolente, très loin de son image amaigrie et livide captée par des paparazzis dans les rues de New York en 2013.

Le temps d’une longue interview, l’acteur s’est livré sur les accrocs d’une carrière fulgurante, ses années de gloire, sa retraite précipitée, son amitié avec Michael Jackson, son rapport à la célébrité, au fric, à la drogue, et le second élan qu’il veut donner à sa carrière. Sans regret ni nostalgie, Mac évoque son quotidien partagé entre la musique (il joue dans le groupe anti-folk The Pizza Undergroun­d) et le cinéma, qu’il appréhende désormais comme un loisir à temps partiel, apparaissa­nt ici ou là dans les films des potes, tel Adam Green’s Aladdin, relecture barrée du conte par le musicien et néocinéast­e Adam Green. Rencontre avec un mythe génération­nel encore bien vivant.

Tu es très rare dans les médias depuis une vingtaine d’années. Pourquoi ce silence ?

Macaulay Culkin –

Parce que je n’aime pas ce système. Je suis quelqu’un de très ouvert en vrai, j’adore rencontrer de nouvelles personnes, parler, échanger, mais je préfère me tenir éloigné des médias. En interview, quoi qu’il arrive, les journalist­es vont toujours isoler une citation, la sortir de son contexte, chercher le petit détail qui fera scandale. Et après, ça s’enchaîne : sur Twitter, sur internet, tout le monde reprend la formule choc qui vous fait passer pour un fou furieux. De toute façon, j’ai décidé il y a longtemps que je n’aurais jamais à m’expliquer sur ma vie. Les gens peuvent penser et écrire ce qu’ils veulent à mon propos, même les pires trucs, je n’ai pas besoin de me justifier auprès d’étrangers. Rien à foutre.

Tu ne te soucies jamais de ton image ?

La plupart du temps, non. Je ne vais pas sur internet, je ne googlise pas mon nom toutes les cinq minutes, je me protège des rumeurs et commentair­es. En fait, dès que j’ai eu beaucoup de succès, vers 10 ans, je me suis fixé une ligne de conduite : d’un côté il y a Mac, l’homme ; de l’autre il y a Macaulay Culkin, l’acteur, le personnage public. Faites ce que vous voulez de ce dernier. Fantasmez. Traînez-le dans la boue. Amusez-vous bien avec lui. Le plus important, c’est que je sais qui est Mac, ce qu’il fait de sa vie. Alors, à l’occasion, je remets le costume de Macaulay Culkin et je vais parader en public. Mais le reste du temps, je fais mes trucs de mon côté : je peins, je joue dans les films de potes, je compose de la musique. Je mène mes projets sans me préoccuper des horreurs que l’on raconte à mon propos.

Dans les histoires qui ont pas mal circulé sur toi ces dernières années, beaucoup concernaie­nt tes addictions supposées aux drogues, en particulie­r à l’héroïne. Même là, tu n’as pas eu envie de réagir ?

Ecoute bien, je n’ai jamais touché à l’héroïne. Il y a trois ou quatre ans, la rumeur disait que je prenais pour 6 000 dollars d’héroïne par mois, que j’étais au fond du trou, qu’il ne me restait que six mois à vivre. Bullshit total ! La vérité, c’est que j’ai eu un problème de santé. Mais je n’allais pas expliquer ça aux médias, j’ai le droit à ma vie privée. Est-ce que tu irais commenter ton état de santé à la télé, toi ? Est-ce que tu rendrais publiques tes analyses de sang ? Personne n’a envie de ça.

Parmi ces projets, il y a donc ton rôle dans ce curieux film, Adam Green’s Aladdin. C’est la deuxième fois que tu bosses avec le musicien et cinéaste Adam Green. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

On s’est croisés à plusieurs reprises ces dernières années à New York. On traînait dans les mêmes lieux, on fréquentai­t les mêmes gens issus de la scène indé du Lower East Side, comme les Strokes. Après un concert d’Albert Hammond Jr. (guitariste des Strokes – ndlr), on a pris l’ascenseur pour aller en backstage avec Drew Barrymore, Seth Green, Adam et moi. Et là, quand la porte s’est ouverte, deux adolescent­es débarquent en furie, des fans qui hurlent : “Oh mais c’est Adam, Adam we love you.” Elles étaient hystérique­s, comme si elles avaient vu Jim Morrison. Adam était un peu gêné. Il s’est tourné vers moi et m’a dit : “Je suis la personne la moins célèbre de cet ascenseur, mais là, je me sens comme un putain de dieu.” On a échangé nos numéros et, des mois plus tard, alors que je débarquais à New York, je l’ai rejoint chez lui à 4 heures du matin pour faire la fête. On a vidé toutes les bouteilles de bière de son appart et fumé des clopes pendant des heures. Les idées fusaient dans tous les sens, des projets d’art, de films, de musique... En 2010, je l’ai suivi avec son groupe pour leur tournée européenne. Je traînais avec le band et je montais parfois sur scène à la fin des concerts.

C’est lui qui t’as initié à la musique, et notamment à la scène anti-folk, dont se réclame ton groupe, The Pizza Undergroun­d.

Lui et d’autres. En fait, c’est plutôt l’environnem­ent new-yorkais, les gens avec qui je traîne, qui m’ont conduit à faire de la musique. Mais sans prétention, hein ? C’est un truc animal. Ce que j’adore, dans

la scène anti-folk, c’est une forme d’énergie do it yourself post-punk. Tout le monde peut faire ce qu’il veut, prendre un instrument et jouer de la musique sans avoir forcément de connaissan­ces techniques. J’aime beaucoup cette approche régressive et infantile de la musique des Moldy Peaches ou de Jeffrey Lewis. Et c’est pareil avec The Pizza Undergroun­d : on ne se prend pas au sérieux. Là, dans les mois qui arrivent, on va sortir notre premier album. Ce sera notre meilleure blague, tu vas voir…

Et le cinéma, tu en es où ? Ça représente quoi dans ta vie aujourd’hui ?

Je me suis retiré du business quand j’avais 14 ans. J’ai refait quelques rôles, vers mes 20 ans, au théâtre à Londres ou dans des petits films, mais rien de très sérieux. Je ne dis pas que je me suis définitive­ment éloigné du cinéma, que je rejette tout ce que l’on me propose. C’est simplement que je ne cours pas après les rôles. Je ne vais pas aux castings, je ne lis pas de scénarios, je ne cherche plus à fabriquer une carrière, tu comprends. Faire Adam Green’s Aladdin n’aurait aucun sens dans une logique carriérist­e. Je choisis juste les projets qui m’excitent. Et ce sont souvent les projets de mes potes, bizarremen­t.

Quel type de rôle t’a-t-on proposé ces dernières années ?

Ça varie, des projets de films indés, rarement des plus gros trucs. Mais ça n’est jamais très intéressan­t.

Il y a quand même des cinéastes avec qui tu voudrais travailler ?

Bien sûr ! Si Tarantino ou Wes Anderson me passaient un coup de fil, je n’hésiterais pas une seconde.

Qu’est-ce qui a motivé ton “retrait” de cette industrie ?

Je côtoie ce business depuis trente et un ans. Il y a des exceptions, mais la plupart des gens que je connais dans cette industrie finissent soit débiles, soit complèteme­nt fous. J’ai rencontré un tas de personnes très charmantes, belles, talentueus­es, qui se font bouffer par le show-business, par Hollywood. J’en ai vu beaucoup péter les plombs. Ce milieu les rendait complexés, envieux, insécurisé­s. Et très tôt j’ai compris que je n’avais pas envie de finir comme eux. Regarde Robert De Niro. Je ne juge pas hein, mais il n’a pas fait de films comme Taxi Driver depuis une éternité. Il fait des films uniquement pour le fric. Il se caricature lui-même. Je n’ai jamais compris ses choix de carrière.

Mais pourquoi tu fais ça, mec ? Tu t’emmerdes dans la vie, ou quoi ? T’as besoin d’une occupation pour sortir de chez toi ? (il se marre) Le fric n’a jamais été important dans ma vie. J’avais gagné assez d’argent à 14 ans pour être à l’abri, alors je me suis dit : “OK, c’est fait, je me consacre à autre chose.” Je sentais que mon moment de gloire allait vite passer, alors j’ai pris mes distances. Je me suis épargné les castings, les refus, les angoisses…

Comment as-tu vécu ce moment de gloire ? Devenir à 14 ans l’un des acteurs les mieux payés d’Hollywood. Etre suivi en permanence par les paparazzi. Ça peut très facilement faire vriller...

C’était dur. Et crois-moi, ça l’est toujours. Il y a eu un moment compliqué, à l’adolescenc­e, où je n’avais plus trop le sens des réalités. Je m’étais fait à l’idée que j’allais rester toute ma vie dans ce système, entouré de paparazzi, d’agents, de journalist­es, comme si c’était une chose naturelle. Mais j’ai compris en vieillissa­nt que je ne pouvais pas vivre dans cet environnem­ent bizarre, cette espèce d’immense téléréalit­é qui vous détruit. Alors j’ai dit stop, j’ai liquidé tout le bullshit et j’ai commencé à y voir clair…

Qu’as-tu appris sur la célébrité et ses vices auprès de Michael Jackson ?

(il se redresse sur sa chaise et prend une longue respiratio­n. Sa voix est grave) C’est l’une des personnes les plus importante­s de ma vie. Il a été mon meilleur ami. Nous étions intimement liés parce qu’il savait ce que j’endurais. Il savait ce que je traversais : la célébrité, le stress, les abus, une famille oppressant­e. Il a toujours été présent, compréhens­if. Mais je ne vais pas trop insister sur ce sujet-là. Ça m’appartient.

Tu as déclaré dans une interview au New York Magazine : “Les gens me verront toujours comme un enfant de 10 ans. C’est à la fois une chance et une malédictio­n.” Qu’entendais-tu par-là ?

J’ai un effet étrange sur les gens. J’ai le pouvoir de les rendre vieux. (il se marre) Lorsqu’un inconnu me demande mon âge, et que je lui réponds 35 ans, il hallucine. Pour lui je serai toujours un gosse, celui qu’il a connu quand lui-même était enfant. Alors oui, dans la vie, c’est à double tranchant. Lorsque je suis dans une fête et qu’une belle femme me regarde, je ne sais jamais pourquoi j’attire son attention. Est-ce qu’elle voit en moi cet enfant-star qu’elle a connu il y a vingt ans ? Est-ce que mon statut l’attire ? Je ne saurai jamais et voilà ma malédictio­n : je ne connais pas les intentions des gens à mon égard…

“j’ai un effet étrange sur les gens. J’ai le pouvoir de les rendre vieux”

Mais alors, en quoi est-ce une chance ?

Bah je rentre quand même avec la fille. (il explose de rire) Et puis j’apprends à relativise­r un peu cette malédictio­n. J’ai été heureux dans ma vie. Je suis heureux. OK, j’ai traversé des moments bizarres, j’ai été victime d’abus, mais ça arrive à des millions de gosses. Je ne suis pas un enfant-soldat, je n’ai pas connu la guerre, je n’ai pas bossé dans une mine de charbon. Je me lève chaque matin en me disant que j’ai été béni. Des merdes arrivent à tout le monde finalement. Alors ça va, moi, je prends cette vie.

Quand on te voit déconner sur scène avec ton groupe The Pizza Undergroun­d ou faire la fête déguisé en lapin sur Vine, on a l’impression que tu revis une forme d’état de grâce de l’adolescenc­e. Un truc décomplexé, joyeux, très vivant. Ça contraste un peu avec l’image qu’on avait de toi dans les années 1990 : celle d’un jeune type qui cherche à s’extraire très vite de l’enfance, en s’émancipant de ses parents ou en se mariant très tôt… Ne serais-tu pas en train de reconquéri­r ta jeunesse ?

Tu te trompes sur un point. Ce n’est pas que j’ai voulu très vite devenir adulte, c’est que je n’ai pas eu le choix. Je me suis retrouvé devant les tribunaux alors que je n’avais que 14 ans. J’ai dû apprendre à m’occuper de questions administra­tives, fiscales… Mes réunions familiales se déroulaien­t toujours en présence d’une batterie d’avocats. Le problème était que mes parents géraient ma fortune, leurs deux noms étaient enregistré­s sur mes comptes. Et quand ils ont voulu divorcer, cet argent a été un enjeu capital. Ils se sont disputé ma garde. J’étais brusquemen­t devenu très important à leurs yeux, allez savoir pourquoi. J’ai alors demandé mon émancipati­on légale pour que le fric ne soit plus un problème dans leur divorce. Je me disais, je vire vos noms de mes comptes, j’enlève cet argent de l’équation et je vous laisse vous battre sans moi. Je ne cherchais pas à fuir l’enfance. J’étais seulement victime de certaines circonstan­ces...

Dans Adam Green’s Aladdin, tu incarnes le leader des Magician Americans, une sorte de mouvement de rébellion inspiré d’Occupy Wall Street. Tu t’étais senti proche de ces protestati­ons à l’époque ?

Pas vraiment. J’avais de la sympathie pour eux, et puis je comprends leur colère, mais je n’y comprenais rien. Au bout d’une ou deux semaines de mouvement, je n’arrivais plus à saisir les motivation­s, ni les revendicat­ions des manifs. Les types étaient contre tout, systématiq­uement. C’était illisible. J’avais participé à une réunion une fois, et un truc m’avait fait marrer : il y avait un petit groupe qui, voyant que ça n’avançait pas, proposait de lancer un nouveau mouvement, Occupy Occupy Wall Street…

Tu es plutôt Bernie Sanders, Hillary Clinton, ou Donald Trump ?

Je ne suis nulle part.

Ça fait quelque temps que tu vis entre Paris et New York. Pourquoi as-tu choisi la France ?

Parce que, c’est bien connu, le vin est dégueulass­e, la bouffe est merdique, et les filles sont moches…

 ??  ?? Maman, j’ai raté l’avion de Chris Columbus (1990) ;
Sunday, clip de Sonic Youth réalisé par Harmony Korine (1998) ; Adam Green’s Aladdin d’Adam Green (2016)
Maman, j’ai raté l’avion de Chris Columbus (1990) ; Sunday, clip de Sonic Youth réalisé par Harmony Korine (1998) ; Adam Green’s Aladdin d’Adam Green (2016)
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France