Les Inrockuptibles

musiques Max Jury, Pégase, Anohni…

Après Tobias Jesso Jr. l’an dernier, c’est au tour de Max Jury de se révéler en jeune apôtre de la country sensible et de la soul vintage sur un premier album sincère. Rencontre.

- album Max Jury (Marathon Artists/Pias) facebook.com/maxwelljur­y

Quand Max Jury a fait ses premiers pas il y a deux ans, on a d’abord cru découvrir des chansons cryogénisé­es depuis la grande époque de Laurel Canyon, dans les seventies. Erreur spatio-temporelle d’une cigogne très désorienté­e : loin de ce fantasme de L. A., ce jeune homme est né dans les années 90 et il a grandi à Des Moines, Iowa. “J’ai toujours été attiré par la musique. Mes parents m’ont fait prendre des cours de piano et de chant quand j’étais petit. C’est à l’adolescenc­e que j’ai commencé à écrire des chansons, après une rupture, quand j’avais environ 14 ans et que je ne connaissai­s rien à rien. J’avais besoin de m’exprimer et je l’ai fait par le biais du songwritin­g. Ça a été un véritable déclic. Après, j’ai eu envie de faire ça tout le temps : composer, écouter de la musique, découvrir les histoires de tous les grands musiciens que j’aimais. J’ai compris que c’était ça que je voulais faire de ma vie.” Il fait alors partie de plusieurs groupes de styles différents, – rock, country ou même punk.

Après plusieurs ep prometteur­s sortis depuis 2014, ce chanteur précoce a appris sur le tas. “A 18 ans, j’ai débarqué à Londres pour faire des demos et des concerts. J’étais jeune, naïf et inexpérime­nté. J’avais besoin de laisser passer quelques années pour grandir un peu et faire le point. Je suis rentré à Des Moines et j’ai beaucoup appris en enregistra­nt en studio – c’est là que l’on voit si une chanson fonctionne ou pas.”

Parmi les premiers morceaux qu’il dévoile, les sublimes Black Metal et All I Want le destinent à un futur radieux. Il passe l’épreuve de la scène, notamment en ouverture des concerts de Lana Del Rey et Rufus Wainwright, puis s’attaque à son propre album. Enregistré entre le prestigieu­x studio new-yorkais Electric Lady et un home-studio nettement plus modeste en Caroline du Nord, ce premier recueil touchant et intemporel rêve d’ailleurs. “Ce désir de s’échapper ou de voyager, ça me démange souvent. L’inertie me rend nerveux, mal à l’aise. Numb est une chanson qui décrit exactement ça. C’est facile à dire, de vouloir s’enfuir, mais que faire alors ? On verra peut-être sur mon prochain album.”

Si ses parents ne travaillen­t pas dans des milieux artistique­s (la politique pour sa mère, la finance pour son père), ils lui transmette­nt leur amour pour la musique, de B. B. King à Bonnie Raitt, en passant par Elvis Costello. Sourire aux lèvres, il avoue qu’il écoutait aussi des boys-bands peu fréquentab­les quand il avait 6 ans. Devant son autodérisi­on et son air penaud, on lui pardonne. Il retrouve vite le droit chemin quand il commence à composer au piano et à s’affranchir des carcans

du solfège. “En gros, j’ai tout essayé pour éviter de déchiffrer des partitions : je me suis formé à l’oreille, en écoutant des musiciens et en me documentan­t sur la théorie de la musique. Je trouvais que ça me correspond­ait mieux. Je ne me considère pas vraiment comme un pianiste – c’est juste le seul outil que je maîtrise pour interpréte­r une chanson. C’est un instrument qui me plaît avant tout visuelleme­nt, mais je me retrouve aussi dans son organisati­on. Je suis beaucoup moins intuitif avec une guitare, par exemple. Sur un piano, ça coule tout seul et je sais spontanéme­nt quelle note doit suivre.”

Cet instinct rejaillit tout au long d’un premier album qui reflète ses affinités multiples. On y entend de la soul vibrante, du gospel puissant, du folk ancestral, de la pop classique, de la country tendre et une admiration palpable pour Gram Parsons, Randy Newman et Townes Van Zandt. “C’est compliqué quand on est un très grand fan de musique : tu ne peux pas t’empêcher de te juger en fonction de tes idoles, d’être affligé parce que tu ne ressembles pas à Tom Waits !” Il éclate de rire, bien conscient du ridicule de son désespoir.

Il y a d’ailleurs beaucoup de douceur dans sa désolation, à la fois en interview et sur disque. Il charme par sa spontanéit­é et sa pudeur : un savant mélange qui lui permet de s’épanouir dans un registre intimiste, sans minauderie. A 23 ans, sa voix délicate, presque androgyne, n’a pas le vécu poignant de ses héros, mais parvient quand même à provoquer l’émotion, lovée dans un écrin de mélodies lumineuses et d’arrangemen­ts à l’ancienne. Félicitati­ons du Jury. Noémie Lecoq

“en gros, j’ai tout essayé pour éviter de déchiffrer des partitions”

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