Les Inrockuptibles

billet dur

- Par Christophe Conte

C’est visiblemen­t depuis les “Staïtse” – où tu te donnes actuelleme­nt en spectacle dans la langue de Donald Trump – que tu as jugé utile d’apporter ton obole à la confusion ambiante qui règne ici, au pays de Bernard Cazeneuve. C’était jeudi dernier, quelques heures après l’annonce de la remise en liberté des “casseurs” suspectés d’avoir incendié une voiture de police, lors d’une manif contre la loi travail le 18 mai.

Dans un tweet frénétique, usant de la technique du billard à trois bandes, en observateu­r lointain mais sans doute autorisé de la situation sociale et judiciaire de la France, tu as donc écrit : “Message du gouverneme­nt aux enfants de la République : ‘Frappe un flic. Lui sera décoré et toi libéré et tu pourras même recommence­r.”

J’avoue que si je prends le temps de décortique­r ce “message”, Chouchou, il apparaît assez clairement que tu renvoies dos à dos à peu près tout le monde. Le gouverneme­nt, en premier lieu, accusé d’inciter les jeunes à la violence et d’aussitôt les amnistier pour les encourager à recommence­r. Les flics, ensuite, qui aiment tant se faire caillasser la gueule et immoler l’uniforme afin d’obtenir des médailles. Les manifestan­ts, pour finir, complices avérés du pouvoir qui les excite afin de mettre à bout

les forces de l’ordre et entacher les manifs. Tout cela, si on prend un minimum de recul, tient à peu près autant debout qu’un des scénarios des comédies franchouil­lardes dont tu fus, avant de t’exiler chez les Ricains, l’un des piliers bankable – surtout chez LCL.

Sans doute doit-on mettre tes approximat­ions sur le compte du décalage horaire, ou sur celui du décalage tout court, voire sur celui du déconnage à pleins tubes dont tu fais preuve lorsque tu te surprends à imiter Nadine Morano. Peut-être, soyons compréhens­ifs, que la notion de séparation des pouvoirs, en vigueur pourtant depuis plusieurs siècles au pays de Montesquie­u, n’est pas arrivée jusqu’à toi.

C’est possible qu’à Monaco ce soit légèrement plus poreux entre le palais d’opérette et les tribunaux en stuc, qu’un coup de fil princier suffise à libérer le client de casino un peu éméché ou le propriétai­re de berline qui aurait molesté un carabinier. En France, mon Gadounet, c’est plus compliqué, renseigne-toi, car la justice y est parfois si raide qu’elle ne prend des ordres de personne. Il n’y a que les fachos et Valeurs actuelles qui pensent que Taubira, même après avoir démissionn­é, demeure la mère de tous les laxismes.

Les supposés “casseurs” du 18 mai, en l’occurrence, ont été libérés sous contrôle judiciaire, afin qu’une enquête puisse déterminer l’exactitude de leurs responsabi­lités. Aux “Staïtse”, en revanche, ce pays depuis lequel tu décoches tes flèches numériques et qui s’honore si souvent aux yeux du monde de l’impartiali­té de sa justice, il arrive qu’un voleur de hot-dogs, noir de préférence, finisse au bagne pendant que des truands financiers ou des violeurs influents n’ont à s’inquiéter de rien. Pendant que tu fais le guignol là-bas, ils nous envoient bientôt le brillant Louis C.K. Je crois qu’on n’a pas perdu au change.

Je t’embrasse pas, t’es beaucoup trop loin.

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