Les Inrockuptibles

Elle Fanning

Elle dit mener “une vie normale” mais compte 300 000 followers sur Instagram. Lumineuse dans The Neon Demon de Nicolas Winding Refn, Elle Fanning, 18 ans, a déjà tout d’une superstar.

- Par Jacky Goldberg photo Vincent Ferrané pour Les Inrockupti­bles

à 18 ans, la petite soeur de Dakota, à l’affiche du nouveau film de Nicolas Winding Refn, a déjà tout d’une star

Le décor est parfois trompeur. Lorsque vous la voyez à la télévision (ou sur le site des Inrocks), pendant le Festival de Cannes, Elle Fanning apparaît radieuse dans sa robe Chanel, dos à la Méditerran­ée, sur une belle terrasse, cheveux au vent, glamour au possible… Ce que vous ne voyez pas, c’est l’envers de ce décor : une boîte fermée de 3 mètres sur 3 où s’entassent, outre la star, deux caméras, autant de technicien­s affairés, le journalist­e enfoncé dans son siège et prévenu par un voyant rouge lorsque son temps est écoulé, et la publicist, planning en main, jamais bien loin. Si une caméra avait eu la possibilit­é de reculer un tant soit peu, elle aurait tout saisi de cette cocasse situation, digne d’un gag des Marx Brothers – celui où une douzaine de personnes s’entasse dans une cabine.

Ce recul, Nicolas Winding Refn l’opère justement dans la scène d’ouverture de son nouveau film, The Neon Demon. Sur un canapé de satin blanc gît une très jeune fille désarticul­ée, la gorge tranchée, son sang dégoulinan­t sur le sol ; mais bientôt apparaît, à quelques pas, un photograph­e shootant la fausse scène macabre – shootant surtout l’incroyable créature en son centre, qui ne tardera pas à devenir l’objet de tous les désirs : Elle Fanning. “Je n’avais pas encore lu le scénario lorsque je suis allée pour la première fois chez Nic, à L. A., raconte la comédienne. Il était avec sa femme et ses deux filles, qui ont à peu près mon âge, et, après m’avoir pitché le film, il m’a décrit en détail cette première séquence. Pas besoin d’en savoir plus : j’ai accepté tout de suite !”

C’est la première fois que le réalisateu­r de Pusher ou Bronson, généraleme­nt fasciné par la virilité, s’ouvre au féminin : “Je ressentais le besoin de tourner un film sur la jeune fille de 16 ans qui réside en moi, et il était clair que je devais d’abord trouver une jeune fille de 16 ans capable de l’incarner. Sur les conseils de ma femme, j’ai rencontré Elle, qui s’est imposée comme une évidence. Elle est tout ce dont j’aurais rêvé si j’avais son âge… Et puis elle est quand même une putain de mégastar, non ?”, se justifie-t-il, choisissan­t et articulant bien chaque mot.

La “putain de mégastar”, de son côté, ne connaissai­t le réalisateu­r danois que par le truchement de Drive, dont la simple évocation du nom de l’interprète principal, Ryan Gosling, lui fait venir des étoiles dans les yeux : “Bien sûr que ça me fait encore des trucs quand je croise de vraies stars, comme Ryan ou Leo ! J’espère ne jamais être blasée”, relativise-t-elle, accompagna­nt ces mots d’un rire encore juvénile.

Aussi, elle a surtout fait confiance à son instinct et à son agent.

Et elle a eu raison, tant ces deux-là lui ont jusqu’à présent prodigué de bons conseils. Aujourd’hui âgée de 18 ans, l’actrice aligne déjà une filmograph­ie imposante. Elle foule son premier plateau avant même de savoir parler, à 2 ans, en tant que doublure bébé de sa grande soeur Dakota, de quatre ans plus âgée, dans Sam je suis Sam (2001). Le film n’est pas très bon, certes, mais il faut un début à tout. Ce serait mentir que d’affirmer qu’on l’avait repérée dans la décennie qui suivit, mais un coup d’oeil rétrospect­if sur ses choix force le respect, même s’il ne s’agit la plupart du temps que de petits rôles : Déjà vu de Tony Scott (2006), L’Etrange Histoire

“bien sûr que ça me fait encore des trucs quand je croise des vraies stars, comme Ryan ou Leo ! J’espère ne jamais être blasée”

de Benjamin Button de David Fincher (2008), Babel d’Alejandro González Iñárritu en 2006 (on aime moins mais c’est indéniable­ment prestigieu­x), la voix de Mei pour une nouvelle exploitati­on aux Etats-Unis de Mon voisin Totoro d’Hayao Miyazaki (1988)… Sacré agent, sacré instinct.

La révélation, la vraie, se fait en 2010, dans Somewhere de Sofia Coppola. Elle a 11 ans et crève l’écran en fille d’un acteur désoeuvré (Stephen Dorff), notamment dans une mémorable scène de patinage, et se fait enfin un prénom – au moment où la carrière de sa soeur commence, elle, à patiner. De Dakota, elle ne dira pas grand-chose, si ce n’est qu’elle reste “une source d’inspiratio­n”, mais de Sofia, on apprendra qu’elle la considère comme son autre grande soeur, avec qui elle s’apprête à tourner une nouvelle version des Proies de Don Siegel avec Kirsten Dunst et Nicole Kidman.

L’année suivante, en 2011, c’est Francis “Grand’pa” Coppola qui la prend sous son aile et la dirige en vampire dans l’onirique Twixt – un film auquel on pense forcément devant The Neon Demon, même si Refn prétend ne pas l’avoir vu. Elle évoque ce tournage avec un enthousias­me non feint, comme on raconte ses souvenirs d’un été chez grand-père : “On a tourné à Napa Valley, près de chez lui, et on dînait ensemble tous les soirs. Il m’a appris ses secrets de cuisine, notamment sa fameuse sauce tomate-basilic. Un soir, sachant que j’adore le ballet, il a voulu me montrer un de ses films préférés, Les Chaussons rouges (de Michael Powell, 1948 – ndlr). On l’a regardé, mais au bout d’un moment il s’est endormi. Il était là, à côté de moi, à ronfler dans son fauteuil, et moi je me demandais si je devais rester ou pas… J’avais 12 ans, j’étais intimidée ! Finalement, je suis restée jusqu’au bout et je suis partie sur la pointe des pieds, sans le réveiller.”

Avec un tel entourage, on comprend pourquoi Elle, à peine sortie de l’adolescenc­e et déjà si courtisée, donne autant l’impression d’avoir les pieds sur terre. “Un goût pour la discipline et la saine compétitio­n”, qui viendrait, selon elle, de sa famille : maman est une ancienne tenniswoma­n, et papa fut un joueur de base-ball. Rien à voir avec son rôle dans The Neon Demon donc, même si Refn l’a laissée mettre beaucoup d’elle-même dans le personnage : “Jesse est née dans l’Etat de Géorgie, elle vit à Los Angeles, fait des shootings de mode, écoute sans doute la même musique que moi – en ce moment : Lemonade de Beyoncé, en boucle… Mais la comparaiso­n s’arrête là. Ma famille a toujours été très présente, et même si les auditions sont un moment stressant, je n’ai jamais ressenti une cruauté telle que celle du film.”

Des auditions, Elle n’en a presque plus à passer, de son propre aveu.

Remarquée, après les Coppola, chez J. J. Abrams (Super 8) et Cameron Crowe (Nouveau départ), toujours en 2011, elle voit sa cote exploser et continue à travailler d’arrache-pied tout en consacrant un temps précieux à ses études. “Elle a tourné plus de films et fait ce métier depuis plus longtemps que moi, rappelle Nicolas Winding Refn, encore sous le charme. Elle est extrêmemen­t discipliné­e, confiante, et ouverte à l’expériment­ation. Je n’ai jamais rencontré d’acteur aussi créatif et malléable à la fois.” Ce qui frappe chez Elle Fanning, c’est l’évidence de son jeu, l’immédiatet­é de sa présence. Elle fait partie de cette race d’acteurs qui n’ont besoin de presque rien pour captiver le regard. Et c’est précisémen­t ce que Refn met en scène dans The Neon Demon.

Une certitude : c’est son tout premier Cannes, mais pas le dernier. En revanche, il est une expérience, unique, qu’elle a été contrainte de rater pour venir sur la Côte d’Azur : son bal de promo, célébrant la fin de ses années lycée. “Ben oui, c’est dommage, mais que pouvais-je faire ?” Pas grand-chose en effet. Elle assure qu’elle mène “une vie normale”. On peine à la croire. Quelle peut être la réaction de ses copines qui luttent pour avoir quelques centaines de followers sur Instagram quand elle en compte 280 000 en à peine trois mois ? “Longtemps, j’ai résisté aux réseaux sociaux, mais je viens de m’y mettre… Je suis encore partagée. J’aime prendre des photos car cela offre une gratificat­ion immédiate. J’aime aussi le fait qu’on puisse facilement contrôler la communicat­ion avec ses fans. Mais je vois bien comment il est possible de truquer et de renvoyer une image complèteme­nt faussée de soi. Et je ne suis pas à l’aise avec ça.” Et si elle disait vrai ? Peut-être qu’avec Elle, pour une fois, le décor ne sera pas si trompeur.

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