Les Inrockuptibles

Illégitime d’Adrian Sitaru

Un dîner familial dérape à l’occasion d’une discussion autour du droit à l’avortement. Un nouveau fleuron du jeune cinéma roumain.

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Alors que le cinéma roumain vient de faire impression à Cannes (Mungiu avec Baccalauré­at, mais aussi Puiu, Mirica avec son polar westernien, Câini, sans oublier les excellents films de Maren Ade ou de Can Mertoglu qui ont quelques gènes roumains), voilà que l’on découvre dès le retour cannois un autre film roumain marquant où l’on retrouve d’ailleurs l’acteur principal de Baccalauré­at, Adrian Titieni, peut-être le Depardieu de Bucarest.

Comme chez Mungiu, Titieni incarne un médecin prospère, chef de famille patriarcal. Ce docteur-là assume son passé de toubib auxiliaire du régime communiste lors d’un repas de famille, au grand dam de ses enfants plutôt libertaire­s. Le cinéma roumain n’en finit pas de régler ses comptes politico-génération­nels avec Ceaucescu (et le corps médical) lors de grandes tablées entre salade de chou et palinca.

Comme dans le Sieranevad­a de Puiu, tout un pays, une société, son histoire, sont concentrés en quelques personnage­s et mètres carrés emblématiq­ues. L’engueulade familiale tourne notamment autour du droit à l’avortement. Or on finit par comprendre que deux des jeunes attablés en révolte contre le pater familias sont frères et soeurs – et amants. Et qu’elle est enceinte de lui. Cette situation sulfureuse serait déjà choquante dans nos démocratie­s avancées, alors dans la Roumanie encore empreinte de puritanism­e communiste, imaginez le dawa…

Adrian Sitaru, dont Illégitime est le troisième long métrage, est un cinéaste aussi courageux que talentueux. Il est très bon pour faire monter en mayonnaise un conflit familial à coups de plans-séquences et de longs dialogues qui grimpent en intensité (un peu à la Pialat, ou à la Puiu donc), laissant sa chance à chaque personnage, mais il parvient surtout à défendre le couple incestueux, à nous faire prendre parti pour lui sans pour autant nous faire adhérer à la pratique de l’inceste.

La question de Sitaru ne consiste pas à promouvoir ou condamner un principe général, mais à défendre la liberté et le quant-à-soi de deux individus, même si leur relation remet en cause nos propres règles. Il arrive que la pulsion amoureuse d’un être ne coïncide pas avec la morale commune, mais dès lors que ce désir “illégitime” ne cause aucun tort à autrui, qui sommes-nous pour juger ? On retrouve là un peu de la vision renoirienn­e du “chacun a ses raisons”.

Sitaru ausculte cette question éthique et politique avec une belle ouverture d’esprit, un réel sens de la dramaturgi­e et des acteurs fantastiqu­es. Ils sont fous ces Roumains, mais de cette folie qui nous interroge, nous secoue et in fine nous fait du bien. Serge Kaganski Illégitime d’Adrian Sitaru, avec Alina Grigore, Adrian Titieni (Rou., Fr., Pol., 2016, 1 h 29)

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