Les Inrockuptibles

Une femme américaine

Eddie Joyce met en scène avec minutie les blessures de l’Amérique à travers un parcours familial.

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Toute une vie est rassemblée dans ce roman, celle d’une femme, Gail, la soixantain­e, mariée depuis plus de quarante ans à Michael. Un fils devenu brillant avocat d’affaires, un fils alcoolique, un fils mort dans l’effondreme­nt des tours jumelles. Toute une vie de bons jours, de mauvais jours, de moments d’enthousias­me et de ratages. Une vie où, depuis quelques années, la chambre du fils disparu constitue une sorte de rendez-vous. Chaque matin, Gail y entre pour quelques instants, s’assoit sur le lit et réfléchit.

Un peu comme le feraient Jonathan Franzen ou Stewart O’Nan, Eddie Joyce remonte jusqu’à la généalogie de cette famille d’Américains moyens, mettant en place un grand puzzle pour mieux cerner l’ordonnance des faits, les hasards, les causes et les conséquenc­es.

Alors apparaisse­nt sous nos yeux les parents de Michael, petits épiciers tout juste débarqués d’Italie, la famille irlandaise de Gail, la naissance des garçons, les hauts et les bas de leur couple. Mais aussi ce deuil écrasant que chaque personnage affronte depuis plus de dix ans.

A travers le portrait de cette famille, c’est aussi, comme seuls certains romanciers américains semblent savoir le faire, tout un pan d’histoire qui s’écrit ici, avec au passage le juste portrait d’une femme anonyme dans l’Amérique triomphant­e. Originalit­é, nous ne sommes pas à Brooklyn mais à Staten Island. Cette île en face de Manhattan dont personne ne parle jamais est aussi l’endroit où est né et a grandi l’auteur. Sa force réside dans l’empathie qu’il entretient avec ce quartier qui est le sien. Et son évocation minutieuse et touchante des lieux n’est pas sans rappeler certains films de Woody Allen.

Transforma­tion de la petite classe moyenne urbaine, crise financière et terrorisme, traumatism­es d’enfance et déconvenue­s conjugales, Eddie Joyce tricote son texte selon un ingénieux processus narratif, sans dramaturgi­e excessive mais avec, toujours, beaucoup d’émotion. S. T.

Les Petites Consolatio­ns (Rivages), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Madeleine Nasalik, 500 pages, 22,50 €

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