Les Inrockuptibles

le bonheur et la pluie

Séparés mais unis par l’exigence de leur démarche, Philippe Dupuy et Charles Berberian prouvent qu’ils ont toujours le trait et l’esprit’esprit vifs.

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Parce qu’ils ont dessiné à quatre mains pendant plus de vingt ans, Dupuy et Berberian verront toujours leurs noms associés dans la mémoire des lecteurs. Cependant, depuis Bienvenue à Boboland, la trajectoir­e unique du binôme a laissé place à deux chemins distincts : une situation réjouissan­te pour ceux qui aiment leur travail, qui signifie deux fois plus de livres et deux fois plus de prises de risques.

Entre Le Bonheur occidental et Nuages et pluie, publiés quasi simultaném­ent, il n’y a pas vraiment d’air de famille. Alors que le premier – compilant des histoires courtes et dessins publiés de manière éparse – mord dans notre époque avec gourmandis­e, le second a la forme d’un long récit sensuel et inquiétant qui prend racine dans l’Indochine de l’après-Première Guerre mondiale. Werner, soldat allemand miraculé et taiseux, cherche à racheter le sacrifice d’un ami et échoue au Laos dans une mystérieus­e manufactur­e.

Ecrit par Loo Hui Phang (déjà auteur avec Dupuy du très beau Les Enfants pâles il y a quatre ans), le scénario prend ses distances avec le réalisme historique pour ouvrir, chapitre après chapitre, des portes vers un imaginaire fantastiqu­e où les fleurs ont des secrets et où l’érotisme occupe une place centrale. Servi par les couleurs aveuglante­s ou crépuscula­ires d’Isabelle Merlet, le trait de Dupuy, à la fois poétique et vif, s’épanouit tout le long de cet album intrigant qui est aussi un très beau livre d’images.

S’il réserve de la place à des croquis ou à une couverture iconique du New Yorker, Le Bonheur occidental développe surtout un propos sarcastiqu­e. En ouverture et en clôture de ce joli volume, Charles Berberian se livre à une cruelle et hilarante autofictio­n où un éditeur, cigare au bec, le prévient : “Soit tu m’apportes un projet avec Dupuy, soit c’est pas la peine.”

Cependant, le gros morceau du livre est la reprise du feuilleton absurde, Le Grand Cerceau européen, mettant en scène Orlando Mollande et DSQ. Avec aplomb, le dessinateu­r s’aventure sur le terrain de la satire. Surfant sans tomber sur l’écume de l’époque, il caricature avec réussite la vacuité des politiques et des communican­ts. Bien qu’hétérogène par nature – il réunit des hommages à Bretécher, Gotlib et aux Monty Python – ce recueil s’avère au final cohérent, proposant la passionnan­te visite d’un laboratoir­e graphique. Vincent Brunner

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