Les Inrockuptibles

Son départ de chez Ruquier, le sexisme et la politique, ses projets : Léa Salamé se confie dans un entretien exclusif

Après deux années d’On n’est pas couché, Léa Salamé couvrira à la rentrée l’élection présidenti­elle avec David Pujadas et animera un nouveau magazine culturel également sur France 2. Bilan et perspectiv­es : nous avons interviewé la meilleure interviewe­use

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Sacrée “femme de l’année” en 2014, “meilleure interviewe­use” en 2015, Léa Salamé est déjà la grande gagnante du mercato télé 2016. Après deux ans de bons et loyaux services chez Laurent Ruquier, la journalist­e la plus scrutée du PAF a décidé de quitter On n’est pas couché. A partir de la rentrée, elle couvrira l’élection présidenti­elle avec David Pujadas et animera Stupéfiant !, le nouveau magazine culturel de France 2 piloté par le génial Laurent Bon (Le Petit Journal, Le Supplément…). A 36 ans, celle qui rêvait d’être “la nouvelle Anne Sinclair” (mais sans pull mohair) continue de gravir les échelons avec une facilité déconcerta­nte. Après six mois de “silence radio”, elle a accepté de passer à la question. .

Pourquoi avoir décidé de quitter On n’est pas couché ? On imagine que le choix a dû être cornélien…

Léa Salamé –

Je crois que sans année présidenti­elle, j’aurais fait une troisième saison. J’étais plongée dans des abîmes de réflexion dont je ne parvenais pas à m’extraire. J’avais le choix entre rester avec Catherine Barma (productric­e de l’émission – ndlr) et Laurent Ruquier, dans une ambiance bienveilla­nte où je me sentais protégée, chouchouté­e, ou bien me confronter au challenge d’une émission politique statutaire. Durant trois semaines, j’ai changé d’avis trois à quatre fois par jour. A la fin, j’ai fini par me dire : “C’était quoi ton rêve à 15 ans ?” Mon rêve, c’était d’être Anne Sinclair, et dans ce cas, comment passer à côté de l’émission politique phare d’une présidenti­elle ? A 36 ans, je ne pouvais pas refuser, même si vous ne pouvez pas imaginer à quel point j’ai été heureuse au cours de cette seconde saison chez Ruquier. Vous savez, je suis une affective, et avec eux, j’étais un peu en famille. Ruquier restera mon plus gros coup de coeur profession­nel, Catherine Barma, celle qui m’a vraiment donné ma chance, et Yann Moix, celui qui m’a fait le plus marrer. Et puis l’équipe de prod est vraiment géniale. Alors pour tout ça, je peux vous dire que les quitter, c’est un arrachemen­t.

La première saison a été une épreuve pour vous ?

Oui, c’était dur. Tu débarques dans cette émission, pas armée, et c’est une arène. Ça peut être très violent. J’avais l’impression de repasser mon bac toutes les semaines, de ne pas toujours être à la hauteur, de devoir m’améliorer constammen­t. Catherine Barma et Laurent Ruquier m’ont fait progresser. Et cette année, je me sentais bien, à ma place. Grâce aussi à Yann Moix qui m’a un peu “décoincée” et permis de franchir un cap.

On vous présente souvent comme quelqu’un de solide, mais on sent que le moindre rire du public ou une critique peuvent vous faire vaciller…

C’est vrai. Je suis une montagne de doutes et ca ne s’arrange pas. Les étapes réussies ne m’immunisent pas contre cela. Après les trois premières émissions d’On n’est pas couché, désemparée devant les réactions sur les réseaux sociaux, j’ai vraiment voulu jeter l’éponge. J’ai appelé Laurent Ruquier un dimanche soir et je lui ai dit : “Je crois que je vais arrêter, je n’y arriverai pas, c’est trop violent.” Et puis j’ai fini par vivre avec…

L’émission Dialogues citoyens, que vous avez animée avec David Pujadas face à François Hollande, a t-elle servi de test ?

Je pense que si ça avait été une catastroph­e atomique, la direction de France 2 aurait peut-être réfléchi à deux fois avant de m’y titularise­r. (rires) En vérité, je crois que ce n’était pas lié. Les dirigeants de la chaîne m’en avaient parlé bien avant le projet d’émission avec Hollande. Je pensais que l’entretien face au Président me permettrai­t de me décider. Je me disais : “Quand tu sortiras, les choses te paraîtront claires et limpides.” Mais en vérité, je n’étais pas plus avancée après cette émission qu’avant. Je suis définitive­ment nulle pour faire des choix !

Est-ce vous qui avez soufflé le nom de votre remplaçant­e, Vanessa Burggraf, à Laurent Ruquier ? La presse a fait écho d’un pacte secret vous unissant…

Plutôt qu’un pacte, il s’agit surtout d’une soirée entre gonzesses un peu murgées, il y a bientôt dix ans. Je vous assure qu’avec Vanessa, nous ne nous rappelions pas du tout de ce pacte scellé au Plaza Athénée sur fond de caïpirinha. Ce soir-là, on a dû faire “tchin-tchin” entre copines, mais je vous rassure, il y a eu d’autres soirées arrosées depuis et je n’ai joué aucun rôle dans le choix de Laurent Ruquier. Il a découvert Vanessa l’été dernier, alors qu’il passait ses vacances à Florence. Il n’avait jamais regardé France 24 de sa vie et il est tombé dessus car c’était la seule chaîne française qu’il captait. Il l’a trouvée très forte et on a eu quelques échanges par SMS. Il a fini par me dire en plaisantan­t : ”Si tu pars, je la prendrai comme remplaçant­e.” La prophétie s’est réalisée mais je n’y suis pour rien.

Vous pensez que c’est un bon choix ?

Je pense que c’est un excellent choix. Je suis heureuse que le poste reste à une journalist­e et Vanessa est une très bonne journalist­e, pugnace, elle n’a pas peur d’aller au combat. Je pense qu’elle est dans un moment de sa vie où elle veut prendre des risques et il n’y a pas de meilleurs endroits pour ça que chez Laurent Ruquier. Je sais qu’elle flippe, mais elle va surprendre beaucoup de gens…

Ce n’était pas Charline Vanhoenack­er qui était la favorite pour ce poste ?

Je ne sais pas. Ce n’est pas à moi d’en parler. Je crois qu’ils ont vu Charline mais ils en ont également vu d’autres. Je pense que Charline n’avait pas envie de renoncer à ses émissions géniales sur France Inter.

Comment Laurent Ruquier a-t-il réagi au fait que vous quittiez le navire au moment où il a sans doute le plus besoin de vous avec cette année présidenti­elle qui arrive ?

Laurent Ruquier savait que j’allais partir. C’est un homme qui a une très grande intuition. A la fin de la première saison, j’avais pris un café avec lui et je lui avais dit : “J’ai des propositio­ns,

j’hésite à poursuivre.” Il m’avait alors regardée droit dans les yeux et il m’avait

répondu : “Léa, tu vas faire une seconde saison puisque tu n’as rien prouvé pour l’instant. Et ensuite tu partiras, je le sais déjà.” Il m’a laissée libre de mon choix.

A quoi va ressembler l’émission politique de la rentrée que vous allez coanimer ?

Elle s’appellera probableme­nt L’Emission politique et s’inspirera de Des paroles et des actes, mais aussi de Dialogues citoyens avec de nouvelles séquences sur lesquelles nous sommes en train de travailler. Patience…

Beaucoup de gens ont estimé que le concept de Dialogues citoyens était un peu éculé par rapport à la modernité de Des paroles et des actes…

Des paroles et des actes était moderne en 2012, on peut même dire que l’élection de 2012 s’est déroulée sur DPDA et sur La Matinale de France Inter. Mais peutêtre y a-t-il eu une érosion du concept, je ne sais pas trop… Je pense que si 2012 s’est faite avec la parole des “experts” en vedette, 2017 ce sera davantage la “parole citoyenne” qui sera mise en avant.. Avec le développem­ent des réseaux sociaux, nous avons le devoir de faire entrer davantage les Français dans le débat politique. Tout l’enjeu est de réussir à créer un vrai échange sans que ça paraisse factice, gadget, ou manquant d’authentici­té.

Comment avez-vous vécu les compliment­s très décriés du directeur de l’informatio­n de France Télévision­s, Michel Field, vous qualifiant de “virevoltan­te et sexy” ?

Il m’a dit qu’il n’a jamais prononcé le mot “sexy” mais je ne sais pas si “virevoltan­te” est un meilleur qualificat­if. (rires) Je vais vous dire très honnêtemen­t. Ce n’est pas un secret de dire que la préparatio­n de l’émission n’a pas été très sereine. Il y avait des rumeurs folles dans tous les sens. On nous a même demandé si nous n’avions pas déjeuné avec François Hollande la veille. Pure folie ! Et lorsque Le Canard enchaîné a raconté vingt quatre heures plus tôt que j’avais été choisie parce que j’étais “virevoltan­te et sexy”, j’avoue que ça m’a déstabilis­ée, je n’étais pas au mieux pour me confronter en prime time au président de la République. Il m’a fallu un exercice de concentrat­ion et de zénitude maximale pour ne pas me laisser polluer parce que je n’y allais pas dans les meilleures conditions du monde.

Si dans l’ensemble votre prestation a été saluée, votre reprise de volée de François Hollande (“C’est une plaisanter­ie ?”) a été perçue comme un manque de respect par certains.

J’assume et je n’ai pas l’impression d’avoir manqué de respect à la fonction présidenti­elle. Face aux critiques, je suis très légitimist­e, je me réfère à l’avis de mes pairs. Et quand Alain Duhamel, Christine Ockrent, Nicolas Demorand, Elise Lucet ont jugé que j’avais été à la hauteur, j’ai été rassurée. Je ne crois pas avoir été irrespectu­euse avec François Hollande et je ne crois pas que lui pense ça non plus. En tout cas, à la fin de l’émission, quand nous avons échangé quelques mots, je ne l’ai pas senti heurté de quoi que ce soit, plutôt même satisfait de sa prestation.

Et qu’avez-vous pensez de sa ligne de défense, après l’émission, lorsqu’il a déclaré qu’il “n’avait pas voulu être l’ogre qui dévore la princesse” ?

Je n’ai pas envie de commenter la notion de sexisme, je ne me vis pas comme une journalist­e femme. Mais comme une journalist­e. Point.

Quand Michel Onfray vous balance “Ça vous fait jouir” sur le plateau d’ONPC, il se sert de votre condition de femme pour vous attaquer…

Oui, peut-être... Ma réponse à ces attaques sera de continuer à bosser comme une malade, d’être au point sur mes dossiers et de ne pas me laisser aller à des connivence­s faciles. Je n’ai vu François Hollande que deux fois dans ma vie et à chaque fois, c’était des déjeuners avec toute l’équipe de France Inter – soit une dizaine de personnes. Dans un entretien à la revue Charles, j’ai eu la naïveté de le dire, et cette phrase a été instrument­alisée à foison sur le web à grands renforts de sous-entendus graveleux. Et je vais prononcer une phrase que je déteste employer : “On ne ferait pas ça à un homme.”

Beaucoup de femmes journalist­es chargées de couvrir la politique sont victimes du sexisme de certains élus et responsabl­es. Est-ce votre cas ?

Je dois leur faire peur car ils ne me draguent pas vraiment, ou en tout cas plus vraiment ! J’ai eu quelques textos et des propositio­ns de déjeuners un peu limite mais très honnêtemen­t, je pense que le problème ne se pose pas pour des gens comme moi. C’est la petite stagiaire qui commence ou la jeune journalist­e qu’il faut protéger. Aujourd’hui, je peux vous assurer que ça fait très longtemps que je n’ai pas reçu des SMS enflammés d’hommes politiques…

Pourquoi retient-on encore le fait qu’une journalist­e soit charmante et souriante en 2016 ?

C’est un sujet qui m’embarrasse, mais comme vous insistez… Il y a deux ans, vous m’auriez posé la question, je vous aurais répondu spontanéme­nt : “Je suis journalist­e point à la ligne”. Et pas “journalist­e femme”, pas “journalist­e féministe”. Et depuis que j’ai grimpé quelques échelons, il y a quelque chose qui me gratte parfois au fond du coeur et je me dis : “Pourquoi font-ils ça ? Ils vont finir par me rendre féministe.”

On a l’impression que depuis que Françoise Giroud a pris la tête de L’Express en 1969, les choses ont finalement peu évolué dans le monde des médias…

Ne soyez pas pessimiste et décliniste, les choses ont évolué. Je ne pense pas qu’il y a quinze ans on aurait proposé une émission politique à une femme de 36 ans. Et puis mes deux patronnes sont des femmes, à savoir Delphine Ernotte à France Télévision­s et Laurence Bloch à France Inter.

“à 15 ans, mon rêve, c’était d’être Anne Sinclair”

C’est lent, mais les règles sont en train de changer…

A la rentrée, vous allez également animer une émission culturelle (Stupéfiant !) produite par Laurent Bon. Pourquoi avoir fait ce choix alors que la case est réputée casse-gueule en termes d’audience ?

C’est vrai ! J’ai d’ailleurs reçu des propositio­ns beaucoup moins risquées, mais la réponse s’appelle Laurent Bon. Ça fait longtemps qu’on avait envie de travailler ensemble. On sait que les émissions 100 % culturelle­s ne marchent pas à la télé. Et la direction de France 2 le sait. Ils ont choisi Laurent Bon car ils veulent une émission avec la même nervosité, la même écriture qu’un magazine d’actu ou d’enquête, qu’Envoyé spécial ou Le Supplément. Laurent Bon pense que la culture est aussi forcément politique et il aimait bien l’idée que ce ne soit pas un journalist­e spécialisé en culture qui présente l’émission. Il veut que ce soit une émission rock, électrique et parfois même de mauvais goût. Ça sera à la fois undergroun­d et populaire.

Alors que RTL envisage de se séparer d’Olivier Mazerolle, avez-vous été contactée à nouveau pour la matinale à la rentrée ?

Je vous annonce officielle­ment que j’ai ressigné à France Inter, donc la question ne se pose pas. Et puis franchemen­t, quelle idée de quitter la première matinale de France en ce moment ? Me lever à 5 h 30, je ne m’y fais toujours pas, mais bosser avec Patrick Cohen, Thomas Legrand, Dominique Seux et Bernard Guetta, c’est un plaisir et un honneur. Je pense que France Inter, avec aussi Nicolas Demorand que j’adore, sera la radio de référence de cette année politique.

Après l’émission Dialogues citoyens, des articles ont raconté que vous aviez “éclipsé David Pujadas”. Il y a une saine concurrenc­e entre vous ?

Les gens vont prendre plaisir à nous opposer, à voir qui va tuer l’autre. Ceux qui espèrent ça en seront pour leurs frais. Malheureus­ement pour l’excitation générale, on a vraiment bien aimé travailler ensemble et on veut faire la meilleure émission politique possible. Et aussi avec la présence dynamique de Karim Rissouli ! Je suis très fière que David ait envie de travailler avec moi.

Quel regard portez-vous sur la vague de départs à Canal+ ?

Je suis comme tout le monde, je ne comprends pas où veut en venir Vincent Bolloré. Ça me fait un peu mal au coeur de voir ces nouvelles nécros qui tombent quotidienn­ement. Je ne comprends pas la stratégie derrière et j’ai une pensée pour Maïtena Biraben, Ali Baddou ou bien encore Bruce Toussaint… Vous savez, je ne suis pas spécialeme­nt un bébé Canal, je n’ai pas vraiment grandi avec cette chaîne et je ne suis pas une thuriférai­re de la dérision à tout prix. Mais quand même, il y a un modèle qui meurt et ça fait mal.

Entre les audiences et les critiques, Maïtena Biraben a vécu “une année médiatique en enfer”. Pensez-vous qu’elle aurait subi le même traitement si elle avait été un homme ?

Je crois que le plus dur a été de succéder à Michel Denisot. Ils auraient peut-être dû changer le nom et le concept de l’émission, avec Antoine de Caunes puis Maïtena Biraben. Mais si vous voulez dire qu’on prend plus de plaisir à taper sur une femme, oui sans doute. Le déchaîneme­nt de critiques contre elle était d’une violence hallucinan­te. Je ne sais pas comment elle a fait pour tenir, affronter l’antenne et les critiques, et repartir au combat chaque matin. Je trouve qu’elle a été très courageuse. Je n’en aurais sans doute pas été capable.

Une émission politique, une émission culturelle, France Inter : à la rentrée, vous serez partout. N’avez-vous pas peur de lasser les gens à force d’être omniprésen­te ?

Bien sûr que j’ai cette crainte, et c’est la raison pour laquelle je prends le risque de quitter le navire amiral On n’est pas couché pour une émission culturelle qui sera moins regardée et moins commentée. Mais là aussi, je vous dirais : “Est-ce que vous poseriez la même question à Yves Calvi, Patrick Cohen ou Nagui qui enchaînent quatre heures d’antenne quotidienn­e à la télé et à la radio ?” Moi, avec mes dix minutes d’interview le matin sur Inter et mes cinq présences par mois à la télé (deux fois pour L‘Emission politique, trois fois pour Stupéfiant !), j’ai de la marge… Et puis j’essaie de ne pas trop parler dans les médias. Depuis le 1er janvier, je n’ai accordé aucune interview. Vous êtes les premiers. Ma vie est un tunnel de travail mais – heureuseme­nt ou malheureus­ement – j’occupais deux des postes les plus exposés du PAF. Il y a des choses que je ne contrôlais pas…

Cette année, votre vie privée a été étalée à plusieurs reprises dans des journaux people. Comment avezvous vécu cette starificat­ion ?

J’ai vraiment flippé. J’ai eu l’impression qu’il y avait une part de ma vie que je ne maîtrisais plus. Je sais que l’exposition de ma vie privée a fait du mal à certaines personnes et je m’en suis également voulu. Aujourd’hui, je suis obsédée par l’idée de rester une journalist­e. Il n’y a que ça qui me fait triper. Quand vous faites une couverture de magazine ou que vous gagnez un prix, je ne vais pas vous mentir, ça flatte votre ego. Mais à la fin des fins, mon kif absolu est de trouver la bonne première question, de réussir à surprendre lors d’une interview…

Pour la première fois depuis quatre ans, c’est un cadre du FN, Florian Philippot, qui était l’invité d’On n’est pas couché samedi dernier. C’est vous qui avez convaincu Laurent Ruquier de ce choix ?

Non, Laurent était tenu à l’équilibre du temps de parole par le CSA ,mais sa position est claire et connue : hors période électorale, il ne veut pas les inviter. Ce n’est pas ma position. Sur I-Télé, quand j’étais en charge d’un débat, tous les soirs, je me suis battue contre ma direction pour qu’on puisse les interviewe­r. Pour moi, recevoir le FN est devenu banal, ils font partie du jeu politique et médiatique. Je pense qu’il faut les interroger de manière banale, sans les rendre plus sulfureux qu’ils ne le sont. Il n’y a plus rien d’événementi­el

“j’ai l’impression que la campagne présidenti­elle va être dégueulass­e“

à inviter le FN et c’est tant mieux. Ne leur en déplaise, ils sont à 100 % dans le système.

En les recevant dans des émissions d’infotainme­nt et de divertisse­ment, ne prenez-vous pas le risque de participer à leur dédiabolis­ation ?

Ce n’est pas ma faute si le FN était en tête des élections européenne­s et si 7 millions de Français votent pour eux. Vous voulez combattre les idées du FN ? Traiter les de manière impartiale, parlez leur du fond. C’est moins sensationn­aliste que de chercher à les piéger en mode “le FN c’est des fachos”, mais c’est comme ça que j’aborde mon questionne­ment.

A longueur d’émissions, vous répétez que “les réactionna­ires sont devenus majoritair­es”. Comment répondre à ce raidisseme­nt idéologiqu­e ?

Il y a un an, je pensais que l’élection présidenti­elle se jouerait sur les questions identitair­es. Je le pense toujours, même si les questions économique­s seront tout aussi importante­s. Mais la vague réactionna­ire me semble avoir atteint son acmé avec Le Suicide francais d’Eric Zemmour. Pas à cause de la puissance de la pensée progressis­te en face qui reste faible et inaudible, mais parce qu’entendre Zemmour, Finkielkra­ut, Tillinac matin, midi et soir sur les plateaux de télévision, ca a peutêtre fini par lasser.

Dans Histoire de la haine identitair­e, l’historien Nicolas Lebourg estime que l’“altérophob­ie”, c’est-à-dire le rejet de l’autre en raison de son appartenan­ce ethnique, culturelle ou religieuse, est en voie de remporter la bataille des idées dans notre pays.

Je suis d’accord avec lui. Il y a quelque chose qui ne me plaît pas en France actuelleme­nt. Je trouve par exemple que l’affaire Benzema est terribleme­nt triste. Alors que l’Euro va débuter, qu’on l’accueille chez nous, on trouve le moyen de polémiquer, de se diviser, de se communauta­riser au lieu de se rassembler. La France est traversée de passions tristes et on n’en sort pas. J’ai l’impression que la campagne présidenti­elle va être dégueulass­e et violente, et j’aimerais que des voix politiques et intellectu­elles nouvelles nous tirent de ce climat délétère.

Comment expliquez-vous cette spécificit­é française ?

Je ne sais pas. C’est comme si nous étions passés du succès des décliniste­s à quelque chose d’encore pire aujourd’hui. De “c’était mieux avant” à “les autres, ça pue” : c’est déprimant. Nous avons besoin de figures nouvelles. Que ce soit Emmanuel Macron ou Nuit debout, je pense que toute expériment­ation politique nouvelle peut nous faire du bien. Je regrette qu’on s’achemine doucement vers le bis repetita placent de 2012. Si ce n’est pas Sarkozy, ce sera Juppé, mais ce sont les mêmes depuis quarante ans. A l’étranger, il y a Matteo Renzi, Pablo Iglesias, Justin Trudeau,et nous on prend les mêmes et on recommence. Inlassable­ment. Je ne comprends pas que nous ne parvenions pas à renouveler notre offre politique.

Pensez-vous que Hollande a encore une chance d’être réélu ?

Il n’a pas dit son dernier mot. Je ne suis pas bonne en pronostic, mais je pense qu’il sera candidat et que rien n’est joué, que ce soit à droite ou à gauche. On aurait tort d’enterrer François Hollande ou Nicolas Sarkozy…

Après la présidenti­elle, qu’est-ce qui vous fera encore rêver ?

Diriger un journal ou une rédaction un jour, c’est l’un de mes rêves. Et puis il y a aussi la vie privée, mais de cela on ne parlera pas ! propos recueillis par David Doucet photo Alex Brunet pour Les Inrockupti­bles mise en beauté Débora Emy remercieme­nts hôtel Park Hyatt, American Vintage et Charlise

“l’idée de rester journalist­e : il n’y a que ça qui me fait triper”

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