Les Inrockuptibles

Laurent de Wilde, Miossec…

Pianiste de jazz à la renommée internatio­nale, Laurent de Wilde est également un érudit passionné et passionnan­t. Il a délaissé son clavier pour celui d’un ordinateur où il a écrit Les Fous du son, une somme sur la grande aventure sonore du XXe siècle.

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Dans la salle de musique de Laurent de Wilde – un ancien garage au rez-de-chaussée d’un immeuble parisien –, deux grands pianos se tournent le dos, à touche-touche. Ils ne sont pas fâchés, bien au contraire. Quand on lui rend visite, Laurent de Wilde vient de passer la journée derrière l’un, pendant que Ray Lema jouait sur l’autre.

Le double clavier, Laurent de Wilde connaît. Celui du piano bien sûr, qu’il fréquente depuis l’enfance. “J’ai deux grandes soeurs qui en ont joué un peu, puis il a fini dans ma chambre quand j’avais 7 ans, et c’est devenu mon meilleur ami”, dit-il. Un ami pour la vie qu’il a d’abord fréquenté en amateur puis étudié aux Etats-Unis (où il est né), et dont il est devenu un virtuose reconnu et primé dans la catégorie jazz.

De Wilde sort son premier album en 1987. Une quinzaine suivront jusqu’à aujourd’hui, avec, en l’an 2000, le bien nommé Time 4 Change : il y délaisse alors le bon vieux piano acoustique et commence à explorer la musique électroniq­ue. “A la fin des années 90, ça tournait bien pour moi, mais j’avais l’impression de m’encroûter. La musique électroniq­ue poussait de partout, à Londres, Berlin, Paris. Une nouvelle langue dans laquelle je reconnaiss­ais le vocabulair­e du jazz. Je m’étais toujours intéressé à la technologi­e : j’avais un Farfisa à 12 ans, j’ai eu les premiers Mac, les claviers Yamaha DX-7 et Roland D-50 quand ils sont sortis. J’ai compris que le son et la musique étaient les deux faces de la même pièce, et j’ai réappris la musique par cette voie.”

Curieux de nature et doté d’une solide formation littéraire (il est passé par Normale sup), Laurent de Wilde aime aussi jouer de l’AZERTY pour écrire des livres. Son premier, Monk (Gallimard), date d’il y a vingt ans. Une courte mais intense biographie littéraire du pianiste Thelonious Monk, et un vrai best-seller. “J’ai eu beaucoup de bons retours sur ce livre, il a eu une aura positive et durable dans ma vie. Bien sûr, tout le monde me demandait quand j’allais écrire le deuxième. J’avais quelques idées, des choses à gratter.”

En avril 2012, invité à un festival littéraire en tant que musicien, il discute avec l’érudit mélomane Bertrand Dicale

qui le convainc de creuser sa piste des inventeurs de claviers au XXe siècle. Et c’est ainsi que naquît Les Fous du son, un très gros bébé de 560 pages qui déborde le XXe siècle… et même son sujet. C’est un livre qui commence ainsi : “Tout pourrait commencer avec Edison. Déjà, dans son nom, il y a son. Et si on le prononce à l’américaine, ça sonne. Et dissone.” Un bon début, presque aussi vif et musical que l’incipit du Lolita de Nabokov. Au clavier d’écrivain, Laurent de Wilde ne manque pas d’inspiratio­n.

Ce livre est donc une odyssée documentai­re et littéraire à travers plus d’un siècle d’invention : on y croise les pionniers de la transmissi­on électrique du son, les inventeurs de claviers, puis ceux de l’électroniq­ue. Martenot, Theremin, Hammond, Mellotron, Wurlitzer, Roland, Yamaha : tous ces noms, tous ces sons que l’on avait croisés sur des disques et des notes de pochette prennent vie à travers l’histoire et les péripéties de leurs inventeurs. C’est aussi une histoire du progrès technologi­que, du capitalism­e, du monde industriel, de la compétitio­n, bref, du XXe siècle.

Ces noms-là, ce sont les plus connus. Laurent de Wilde a aussi la bonté de nous présenter les cocus de l’histoire, les anecdotiqu­es édifiants, ceux qui se sont fait piquer les brevets, qui sont morts de passion dans leur garage avec leurs étranges machines. La force de ce livre, c’est la passion et l’émerveille­ment contagieux qui ont servi de carburant à son écriture.

Dans la salle de musique de Laurent de Wilde, il y a un thérémine et un magnifique Fender Rhodes. “J’ai mis les mains sur une bonne partie des machines dont parle le livre. L’aspect sensible est important pour un musicien, la clé est souvent là.” Ce gros bouquin idéal pour apprendre en s’amusant, c’est aussi l’histoire de la vie à facettes de Laurent de Wilde – né aux Etats-Unis et de culture française, musicien et écrivain, dans le jazz et dans l’electro. Il rêve maintenant, tout éveillé, d’une déclinaiso­n sur disque et sur scène de ses Fous du son, qui serait “la convergenc­e de tout ce que j’ai en moi”. Il rêve aussi, depuis longtemps, d’écrire un jour le livre le plus drôle du monde. Et on l’en croit capable. Stéphane Deschamps

la force de ce livre, c’est la passion et l’émerveille­ment contagieux qui ont servi de carburant à son écriture

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 ??  ?? livre Les Fous du son (Grasset), 560 pages, 22,90 € laurentdew­ilde.com
livre Les Fous du son (Grasset), 560 pages, 22,90 € laurentdew­ilde.com

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