Les Inrockuptibles

la Biennale de Berlin...

Confiée au collectif postintern­et new-yorkais DIS Magazine, la neuvième Biennale de Berlin aura bien lieu : un grand bain de virtuel, de réflexion et d’anticipati­on, loin des icônes.

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Exercice par excellence d’un monde de l’art globe-trotteur en quête de saveurs locales, la proliférat­ion des biennales d’art a quelque chose d’une course à l’armement. En 1998, Berlin se dote de la sienne : ça sera la première grande manifestat­ion artistique de la ville réunifiée. Depuis, la Biennale de Berlin pour l’art contempora­in traduit surtout les ambivalenc­es d’une scène qui produit beaucoup mais expose ailleurs.

En 2014, on en ressortait avec le vague à l’âme des blue mondays et l’incapacité de se remémorer des oeuvres précises. Seule solution : que le tissu de contradict­ions qu’est la ville de l’hédonisme chimique, des start-ups et des easyjet-setteurs devienne la matière même de la Biennale. Pour tenir un tel pari, il fallait forcément faire appel à un collectif un peu en marge des circuits artistique­s : DIS Magazine, précédé d’un potentiel cool qui fait jacasser dans les white cubes. La rumeur avait même circulé que la neuvième Biennale n’allait pas du tout avoir lieu.

La première épreuve avait donc déjà été passée haut la main : avant même son ouverture, la Biennale était devenue virale. Pour la seconde, ça semblait plus épineux et il reste encore à voir comment les maîtres du jeu digital parviendro­nt à négocier le lien au territoire. “Nous avons choisi des lieux qui illustrent un paradoxe contempora­in, nous révèlent les quatre New-Yorkais. Il y aura des espaces publics privatisés, comme l’Ecole européenne de management qui est implantée dans le bâtiment du Conseil d’Etat allemand. Ou encore l’Académie des arts située au beau milieu de la Pariser Platz, une zone touristiqu­e dans le quartier des ambassades et des banques.”

Ambitieux et totalement inclassabl­e, le projet Discreet Insecurity Counseling, qui s’y tient trois semaines durant, est un parfait exemple de la sortie des cadres de l’art classique qu’ambitionne le collectif. Initié par le philosophe Armen Avanessian en collaborat­ion avec Alexander Martos, le workshop tire profit de sa position parasite, “à 200 mètres du portable d’Angela Merkel et de la NSA”, pour constituer une agence de renseignem­ent autonome. A la clé, une quinzaine de projets sélectionn­és à la suite des appels lancés sur divers forums, qui seront développés in situ, en temps réel – et avec l’argent public de la Biennale. Avanessian précise : “Il ne s’agit pas de faire la critique de l’institutio­n, mais de tirer parti de sa force de frappe.”

A part le point de chute historique du centre d’art Kunst-Werke, pas de lieux d’art consacrés, mais “des lieux de flux : de tourisme, de capitaux, d’informatio­ns”. Parmi les artistes invités, toute

la bande dite du postintern­et en est. Une mouvance que le Berlin du début des années 2010 aura vu naître et grandir, bien que toujours un peu en secret, exposée dans l’entre-soi des ateliers. On y retrouvera notamment Simon Denny, Korakrit Arunanondc­hai, Hito Steyerl, Ryan Trecartin et, plus connus sous nos latitudes, Camille Henrot, Will Benedict, Simon Fujiwara ou encore Puppies Puppies, dont on pourra simultaném­ent découvrir l’expo à la galerie Balice Hertling à Paris.

Alors que la vénérable Biennale de Venise se fait déjà taxer de “Biennale de l’entertainm­ent” à la suite de la nomination de Xavier Veilhan au pavillon français 2017, peut-être faut-il, pour définir le contempora­in, justement accepter de passer sous les radars du Grand Art et aller faire un tour à Berlin. Ce qu’on y trouve ? On ne sait pas trop encore. Mais ça sera complexe, virtuel, vibrant. Et surtout, 0 % nostalgiqu­e. Ingrid Luquet-Gad

Biennale de Berlin du 4 juin au 18 septembre, bb9.berlinbien­nale.de Puppies Puppies à partir du 7 juillet à la galerie Balice Hertling, Paris XXe, balicehert­ling.com

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Narratives Devices,2016

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