Les Inrockuptibles

Exercice de style

Le compte Instagram Youngthuga­spaintings met en relation des photos du rappeur Young Thug avec des tableaux de François Boucher ou du Caravage. Génie.

- Carole Boinet

1 thugface

Si, lassé de la duckface, vous vous sentez badass, optez pour la “thug” : menton relevé, bouche entrouvert­e, yeux mi-clos, comme si vous toisiez un auditoire imaginaire. Soit la pose adoptée par les deux personnage­s ci-contre, à trois siècles d’intervalle. A gauche, Young Thug, 24 ans, jeune prince tatoué de la trap allumée, adoubé par Gucci Mane (à qui il a piqué le cornet de glace imprimé sur la joue). A droite, une jeune femme qui pourrait bien être la marquise de Pompadour, immortalis­ée par François Boucher au XVIIIe siècle. Rien ne les rassemble et, pourtant, les images pourraient presque être interverti­es : tous deux portent des boucles d’oreilles, les cheveux relevés, et tandis que l’un a noué son foulard en jabot, l’autre a opté pour une bande de tissu qui rappelle ces colliers en plastique dentelé en vogue dans les 90’s. Mais à quelle époque sommes-nous donc ?

2 art rocaille

François Boucher, qui n’aimait rien tant que peindre des femmes épanouies, aurait adoré Young Thug, qui se plaît à emprunter ses fringues au vestiaire féminin, brouillant ainsi les stéréotype­s de genre. “90 % de mes vêtements sont des vêtements de femmes”, déclarait-il à GQ en 2015, faisant souffler un vent de fraîcheur sur le gangsta-rap. Boucher est l’un des artistes emblématiq­ues du style rocaille, qui balaya le classicism­e avec son attrait pour la sensualité, les plaisirs frivoles, le champêtre. Un hédonisme qui ne déplairait pas à Young Thug, qui privilégie le contenant au contenu. Peu importe les textes (incompréhe­nsibles à force d’être mâchés, avalés), le rappeur met l’accent sur les modulation­s extravagan­tes de sa voix, et son style de zinzin (vernis à ongles compris). “A chaque fois que je m’habille, ça devient putain de viral”, lâche-t-il d’ailleurs sur Halftime.

3 collages et réseaux sociaux

On doit ce coup de génie à Hajar Benjida, étudiant néerlandai­s de 21 ans qui, séchant sur un projet de fin d’études, a vu chez Young Thug “une oeuvre d’art ambulante”, comme il l’a expliqué à Fader. Il s’est donc employé à mettre en relation des photos du rappeur et des tableaux toutes époques confondues. Bilan : à l’image de Young Thug, qui se revendique autant du hip-hop que du rock et posait au dernier défilé de Kanye West, ce compte Instagram est emblématiq­ue d’une époque où l’art naît de et sur le web, au croisement de Google et des réseaux sociaux, là où se rencontren­t les dents en or de Young Thug et le clair-obscur du Caravage. Si ces collages frappent par leur capacité à balayer toute barrière temporelle, ils mettent aussi en lumière la faculté de Young Thug à faire office d’artiste, de muse et de mème. A la manière d’un Kanye West, en somme.

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