Les Inrockuptibles

Mocke, Oscar, Daniel Romano…

Longtemps moitié du duo Holden, Mocke est aussi le guitariste subtil et intuitif de tous les beaux projets français. Son oeuvre solo s’enrichit aujourd’hui d’un deuxième album, St-Homard, qui nous a tuer.

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Et surtout, je ne me retrouve jamais à jouer avec des gens que je n’aime pas.” C’est presque le dernier mot de l’interview avec Mocke, et c’est peut-être là que tout commence. On rencontre le guitariste fin mai à Rouen, pendant le festival Rush, dont la programmat­ion a été confiée à Bertrand Belin – un ami de longue date (il y a une éternité, à Paris, ils ont joué de la guitare dans le même groupe country, mais pas en même temps).

A Rouen, Mocke fait deux concerts. Le premier sous son nom, avec son trio (dont le deuxième guitariste, Rémy Poncet, alias Chevalrex, est aussi le boss de son label, Objet Disque) et le second le lendemain avec Arlt (ex-duo dont il a connu Sing Sing, le chanteur-guitariste, à peu près à la même époque que Bertrand Belin). Avec des gens qu’il aime, et devant des gens qui l’aiment. Pas encore assez à notre goût et au regard de la justice dans un monde idéal.

Dans le public dépasse Benjamin Caschera, grand ordonnateu­r du collectif La Souterrain­e, qui est aussi le premier à avoir donné à Mocke l’idée et l’envie d’enregistre­r des morceaux en solo, il y a une poignée d’années. Mocke est l’un des totems, ou des électrons libres, de cette grande famille informelle réunie et générée depuis quelques années par La Souterrain­e. Pas non plus un perdreau de l’année, Mocke. Depuis la fin des années 1990, il est la moitié du duo pop crypto-culte Holden. Puis il a donc rejoint Arlt (il joue sur les derniers albums du groupe) et lancé le groupe Midget. Il a aussi longtemps joué avec Silvain Vanot. Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, depuis deux ans pour être précis, c’est la musique instrument­ale qu’il enregistre et sort sous son nom, en (faux) solo.

Coup de foudre en 2014, son premier

album, L’Anguille, fournissai­t pléthore de ce qu’on attend aujourd’hui de la musique : du rêve, de l’échappée, des lignes de fuite et d’horizon, de la surprise, de l’imaginatio­n, de l’invisible révélé, de l’alchimie, des petits films qu’on s’invente en écoutant un disque. Tout ça, plutôt que de la pose dans les clous du passé ou des genres.

Guitariste depuis l’adolescenc­e, Mocke (qui s’appelait alors Dominique Dépret) a d’abord entendu Debussy (à l’âge où on ne sait même pas ce qu’on écoute), puis il a grandi avec le rock (sur l’axe Velvet Undergroun­d-Television), puis le jazz (des années 1920 à 1940 de préférence), puis les musiques traditionn­elles du monde entier, et plus récemment la musique classique (Ravel, Messiaen et Debussy, la boucle est bouclée). En gros. Mocke met tout ça dans sa musique – le fruit confit d’une vie de mélomane et de guitariste. Mais on y entend aussi (ou plutôt pas) ce qu’il ne met pas : les plans de zicos, les exercices de style scolaires, l’esprit de sérieux des musiciens qui flirtent avec l’expériment­al.

Deux ans après L’Anguille, Mocke sort St-Homard. C’est encore un coup de foudre. Ça s’appelle donc l’amour. D’abord, regardez cette pochette (créée par Rémy Poncet, encore lui). Cette pochette vous regarde, avec ses yeux de morses pétrifiés. On aurait envie de les caresser, on s’y écorcherai­t les mains. Des créatures fantastiqu­es qu’aurait

de la musique d’inventeur, avant-gardiste et qu’on gardera après, quand on se sera lassé d’à peu près tout le reste

pu inventer Lovecraft s’il avait préféré ne pas faire peur. Un décalage ludique, une métamorpho­se poétique, qui est encore l’affaire de Mocke.

On entre dans ce disque comme dans le classique Out to Lunch! d’Eric Dolphy. On y entre en sortant donc, sans se retourner ni savoir où on va, en découvrant cette musique comme on visiterait une ville inconnue, dont les rues quadrillée­s seraient en caoutchouc. C’est du jazz (plus que L’Anguille, en tout cas), mais comme synonyme de liberté et de voyage imaginaire plutôt que de genre musical. Du jazz au sens large, qui prend le large, de la musique de ballets nautiques en eaux sauvages, fascinante et vive comme les mouvements d’un banc de poissons – qui en plus claquent des doigts.

C’est de la musique instrument­ale de guitariste, mais on y entend plein d’autres instrument­s, et surtout des chansons, des mélodies effervesce­ntes, des harmonies qui miroitent sous la lune. De la musique d’inventeur, avant-gardiste et qu’on gardera après, quand on se sera lassé d’à peu près tout le reste.

Une heure d’interview avec Mocke n’aura pas du tout permis d’expliquer le pourquoi du comment de sa musique. Ou juste un peu : “J’ai toujours été inspiré par des non-guitariste­s. Le musicien dont j’ai le plus travaillé la musique, c’est le saxophonis­te Lester Young. Mon trip, c’était de développer un phrasé proche de mecs comme lui. Je veux m’exprimer, plutôt que bien jouer de la guitare. Je cherche à faire une musique qui me permette de dire : cette guitare, ces notes, c’est moi.” Le mystère reste quand même entier, et c’est très bien comme ça. Stéphane Deschamps

album St-Homard (Objet Disque) concert le 24 juin à Paris (La Petite Halle) objetdisqu­e.org

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