Les Inrockuptibles

“j’ai très peu photograph­ié ma vie, mais je pense que j’ai photograph­ié ce qui a compté : des femmes et un chien”

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image. Il y a un cas dans l’expo où il y en a même quatre (photos et vers).

Pourquoi as-tu voulu inviter d’autres artistes ?

La réponse va être décevante : parce que j’aime bien ce qu’ils font. Enfin… Il y en a d’autres que j’aime bien, mais ceux-là pouvaient correspond­re à mon exposition. Dans le cas de Renaud Marchand, j’envisageai­s facilement de mettre certaines de mes photos autour de ses sculptures. Robert Combas, j’étais content qu’il ait envie d’illustrer mes poèmes, parce j’aime beaucoup ce qu’il fait, depuis très longtemps. Il y a dans son travail une brutalité que j’aime, un côté primitif – ce qui est bizarre car je n’apprécie pas tellement l’art primitif ; je reconnais la puissance d’expression mais je sens bien que je reste à la surface, ce sont des mythologie­s qui me demeurent étrangères. Combas, par contre, ses mythologie­s sont les miennes, il pourrait faire un saint Jim Morrison par exemple, et le catholicis­me est encore présent en lui, bref je n’ai aucun mal à me reconnaîtr­e dans son travail.

Dans ton appartemen­t, il n’y a aucune photo de toi. Que choisis-tu d’y accrocher et pourquoi ?

D’abord, je n’ai pas tellement de murs. Celui-là, au-dessus de mon bureau, est réservé à ce que j’aurai à accrocher concernant un roman en cours. A côté, le mur est couvert part une bibliothèq­ue. Les deux peintures sur le seul mur libre du salon constituen­t le seul achat : c’est un SDF que Marie-Pierre croisait souvent et qui peignait son caniche, elle avait trouvé ça émouvant, elle me les a données ensuite. Dans le couloir il y a un Combas, qu’il m’a offert, et une photo de Marc Lathuilliè­re, en échange de la préface pour Musée national, le seul texte sur l’art que j’aie jamais réussi à produire. Ses thèmes sont très proches de mes préoccupat­ions, surtout celles de La Carte et le Territoire. Il photograph­ie des gens avec un masque. Quels photograph­es t’ont marqué ? Ce sont plutôt des images de films qui m’ont frappé, davantage que des images de photograph­es. J’oublie les noms des directeurs de la photograph­ie au cinéma, mais disons la photo dans tous les films de Murnau et de Fritz Lang, bref l’image de l’expression­nisme allemand, et puis il y a des noms qui surnagent dans ma mémoire, mais plutôt par hasard : Sacha Vierny, Nestor Almendros… Qui a fait l’image des films de Melville ? Je ne sais pas, mais il était bon. Je suis très sensible à un cadrage impeccable, et il y a une tendance froide et désaturée que j’ai bien aimée dans quelques films récents. D’ailleurs, en pratique, je désature souvent mes photos, plus souvent que je ne les sature. La plupart sont numériques, je ne travaille en argentique que quand je suis en grande forme. Ensuite, j’ai une utilisatio­n primitive mais constante de Photoshop : je travaille la saturation, les tons clairs et foncés, mais sur l’ensemble de la photo, rarement sur des parties isolées. A part, de temps en temps, le ciel. Au fond, ce que je fais avec Photoshop équivaut à l’étalonnage au cinéma, rien de plus.

Pourquoi est-il le seul de tes textes à comprendre des photos ?

J’ai fait d’autres tentatives, comme un portfolio pour Les Inrocks en 2005 où il y a du texte superposé sur les photos. Pour Lanzarote, j’avais voulu qu’il y ait deux livres dans un coffret : l’un comprenant des photos et l’autre un texte, n’ayant d’autre point commun que de se passer au même endroit. Les photos, bon… j’avais alors une obsession pour les roches, c’est certain. Par la suite, j’ai renoncé au concept. Je suis bon pour trouver des concepts, pas pour les poursuivre. Je n’ai rien contre ce que fait un écrivain comme Sebald, qui introduit des photos dans ses textes, mais ça ne se produit

Lanzarote

pas chez moi. Ce qui se produit, c’est plutôt la rencontre entre des bouts de poésie et des photos, mais ça n’advient jamais dans la narration romanesque. Même si je prends beaucoup de photos au moment où j’écris un roman, ce n’est pas tellement pour décrire les lieux, mais parce que j’ai l’impression de ressentir plus fortement les personnage­s si je vois où ils agissent. Ils semblent plus présents dans ma tête si je peux les imaginer dans leur environnem­ent physique. Pour Soumission par exemple, j’ai photograph­ié la maison de Jean Paulhan.

Tu exposes tes appareils photo. Comment les as-tu choisis?

Si je faisais davantage de portraits, je rachèterai­s un Rolleiflex double objectif. Je crois que c’est Cartier-Bresson qui disait que c’était l’appareil idéal pour le portrait parce qu’il ne créait pas de barrière entre le photograph­e et son modèle. C’est tout à fait vrai, et j’ajoute que son format carré me paraît idéal pour photograph­ier les êtres humains. Vu ce que je fais en ce moment, un format rectangula­ire 3/2 est parfait. L’essentiel, c’est le viseur : une visée optique est indispensa­ble, et c’est rare sur les appareils numériques. Sinon je n’utilise pas de zoom, pour ne pas trop m’écarter de l’angle de vision normale de l’oeil humain.

As-tu beaucoup photograph­ié Clément ?

Oui, il y a même une salle qui lui est consacrée. Là, je suis coauteur de la salle avec Marie-Pierre, qui a fait des aquarelles et un diaporama. C’est la salle la plus autobiogra­phique de l’expo. L’autre salle partiellem­ent autobiogra­phique, ce sont les femmes. J’ai très peu photograph­ié ma vie, mais je pense que j’ai photograph­ié ce qui a compté : des femmes et un chien.

Rester vivant du 23 juin au 11 septembre au Palais de Tokyo, Paris XVIe, palaisdeto­kyo.com

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