Les Inrockuptibles

Proche banlieue par Michka Assayas

L’animateur de Very Good Trip, sur France Inter, s’offre un voyage dans son adolescenc­e, là même où les ORTIES ont vécu la leur et où il les a retrouvées.

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grand qu’une ville. Ce fut la première incursion du monde de la “banlieue” dans le paysage encore désuet qui entourait Orsay, autrefois désignée comme “la perle de la vallée de Chevreuse”.

Tous les ans, on y organisait la fête de la Rosière. A la Maison des jeunes et de la culture de Bures-sur-Yvette, tout près, les intellectu­els de gauche allaient voir des pièces de Brecht et des concerts de Paco Ibáñez, un chanteur révolution­naire espagnol. Scientifiq­ues pour la plupart, ils travaillai­ent à la fac ou au Centre d’énergie atomique de Saclay. Leurs enfants aimaient le jazz-rock et la musique planante : Hendrix, Zappa, Soft Machine, Gong… Il y avait des discussion­s politiques violentes, plein d’opinions sur la façon de réorganise­r le monde. robe de dentelle noire et collier à piques pour aller “boire de l’absinthe aux Furieux” (un bar à la Bastille). C’était, selon Kincy, pour signifier le “rejet de tout ici et des gens” et, selon Antha, plus romantique, pour évoquer “le deuil de l’enfance”. Et aussi pour faire réagir leur père, un guitariste de jazz, qu’elles ont “plus entendu jouer que parler” et qui trouvait qu’elles s’habillaien­t “comme des putes”.

Elles ont renoué avec le rap après s’être “pointées à un concert de rap à Bures” où ont débarqué des mecs des Ulis, ce qui, selon Kincy, leur a “remis la tête dans la modernité”. Pour leur producteur Mirwais, à qui elles font “beaucoup penser au Taxi Girl du début”, elles incarnent un “langage black-blanc-beur qui évolue” et “c’est pour ça qu’elles sont clivantes”. Je me rappelle brusquemen­t que mon meilleur copain en sixième, à Orsay, était noir et métis, celui d’avant, en primaire, s’appelait Férid. Moi-même, je n’avais pas un nom très catholique. J’étais naïf, inconscien­t des différence­s d’origine ou de classe, à mes yeux on on était tous pareils. C’était avant les Ulis.

Avant qu’un autre monde éloigné du nôtre n’émerge, auquel les ORTIES, avec leur naturel et leur énergie, ont décidé de se mêler pour rompre, comme le dit très justement Antha, avec “la rêverie du siècle dernier”. Après notre conversati­on dans un salon de thé de Gif, je les emmène avec Mirwais dans la maison où j’ai grandi, non loin de là, et que mon frère et moi avons gardée. Nous évoquons très sérieuseme­nt la perspectiv­e d’un voyage à Kaboul (le cousin de Mirwais est le président du pays, eh oui…) où les ORTIES tourneraie­nt un clip et où je ferais un reportage. Elles insistent pour que je termine cet article par une formule que j’ai souvent utilisée : la vallée de Chevreuse est la Californie de la région parisienne. Même dinguerie, même esprit utopique. Elles sont d’accord.

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