Les Inrockuptibles

“c’est pathétique quand je m’emporte. Ça n’arrive presque jamais d’ailleurs. Je n’en ai pas l’aptitude”

Michel Houellebec­q

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où les mecs restent quinze jours avec les gens qu’ils filment jusqu’à ce qu’ils oublient la caméra. Après, il y a eu un glissement, une façon de regarder les gens comme des phénomènes de foire. C’est de cette dérive qu’on se moquait dans C’est arrivé près de chez vous.

Les Inrocks – Vous avez en commun d’aimer beaucoup Louis de Funès…

Michel Houellebec­q – Il a vraiment inventé quelque chose, une forme de burlesque sonore. Ce ne sont pas seulement ses gestes, ses déplacemen­ts qui sont drôles, mais sa déglutitio­n, ses petits cris, tous les sons qu’il émet en ronronnant ou en tordant sa bouche. Ce n’est plus du langage articulé, c’est une autre forme, qu’il a inventée. Il part d’un dialogue normal et il le transforme en langage particulie­r, animal, formé d’onomatopée­s, de crissement­s, de gargouilli­s. Et c’est irrésistib­le. Il y a de grands burlesques visuels. Mais lui est un grand burlesque sonore aussi, et ça reste le seul.

Benoît Poelvoorde – Ce que j’aime chez lui, c’est que s’il doit bouger un gigantesqu­e tronc d’arbre qui l’empêche de passer, avant de le déplacer, il va d’abord donner un coup de pied dedans. Même si ça ne sert à rien et que ça ne fait mal qu’à lui, c’est plus fort que lui.

Michel Houellebec­q – Dans l’énervement pur, je trouve que tu fais aussi bien que lui.

Benoît Poelvoorde – Merci, ça me fait très plaisir. Pour Les Randonneur­s, Philippe Harel m’avait dit qu’il m’avait choisi parce que je deviens tout rouge quand je m’énerve. Et c’est vrai ! Là, dans Ils sont partout d’Yvan Attal, je joue encore le rôle d’un facho. Pourquoi on pense toujours à moi pour les rôles un peu nazis ? Je me dis que c’est parce que j’ai une gueule banale, que je peux incarner la banalité du mal, du coup. Mais peut-être que c’est une question de couleur. Je prends de la couleur quand je m’emporte.

Les Inrocks – Michel, vous ne vous emportez pas souvent, non ?

Michel Houellebec­q – C’est pathétique quand je m’emporte. Ça n’arrive presque jamais d’ailleurs.

Benoît Poelvoorde – Parce que tu trouves que rien ne mérite la colère ou parce que tu ne peux pas l’exprimer ?

Michel Houellebec­q – Je ne peux pas. Je n’en ai pas l’aptitude.

Benoît Poelvoorde – C’est une chance que j’ai. Je peux gueuler comme un porc.

Michel Houellebec­q – C’est vrai qu’avec Depardieu, vous faisiez beaucoup de bruit.

Benoît Poelvoorde – Je sais que tu penses ça. Les garçons m’ont dit que tu leur avais laissé un mot : “Je vous plains.” (rires) Mais c’est comme ça qu’on maintenait l’équipe en vie, tu sais. Il y a toujours un moment dans un tournage où la fatigue l’emporte sur les conviction­s artistique­s. Il faut des gens comme Gérard ou moi pour faire du bruit et tenir les gens en éveil. Moi, si on me demandait ce que je veux faire plus tard, je dirais “gourou”. C’est un sujet que Michel a abordé dans ses romans et ça me passionne.

Michel Houellebec­q – Je suis désolé de te le dire mais ça ne me paraît pas évident que tu puisses l’être. Car tu n’es pas quelqu’un qui calme les gens. Pour être un bon gourou, il faut être capable de persuader les gens qu’en dépit des apparences tout va bien se passer. C’est le serpent Kaa : “Aie confiance.”

Benoît Poelvoorde – Tu as sûrement raison !

Michel Houellebec­q – J’ai vu un film que j’ai bien aimé et dans lequel tu joues, Le Tout Nouveau Testament. C’est, entre autres choses, un extraordin­aire show des meilleurs acteurs belges. Il ne manque que Bouli Lanners. Il y a Serge Larivière, François Damiens, Yolande Moreau… Je me demande pourquoi les acteurs belges sont si bons.

Benoît Poelvoorde – Je ne sais pas… On a confiance.

Michel Houellebec­q – Vous êtes comme les Américains, en fait. Je me souviens qu’une fois une Belge m’a montré ses seins refaits en me disant : “C’est du beau travail, non ?” Elle a fait ça avec une absence totale de ce filtre qu’ont les Français, aucune inhibition.

Benoît Poelvoorde – Tu sais, la Belgique est un petit point à côté du roi. La France, vous avez un long manteau d’hermine. Nous, on est un paillasson. On sent le savon noir et la patate. C’est pas la même chose d’être belge en Belgique et d’être belge dans le regard d’un Français. Et comme la communicat­ion est permanente, ce qui définit la Belgique, c’est le regard des Français. Je connais des acteurs belges qui prennent le Thalys chaque semaine pour aller passer un casting à Paris. Parce que chez nous, il y a une industrie très faible. Et là, généraleme­nt, un directeur de casting leur dit : “Ah mais vous avez un accent ! Vous savez jouer sans ?” Et après tu retournes dans ce train, tout seul, et c’est dur. Le Thalys, c’est souvent le train de l’humiliatio­n.

Michel Houellebec­q – Il y a chez les acteurs belges une absence de gêne proche des acteurs américains. Alors que le Français est un type qui a une peur terrible du ridicule.

Benoît Poelvoorde – Faut faire attention à ne pas tomber dans les clichés…

Michel Houellebec­q – J’ai toujours pensé que quand un cliché était vrai, il fallait le signaler comme vrai. La peur du ridicule des Français est restée quelque chose de très violent.

Benoît Poelvoorde – Dans l’histoire de la Belgique, même dans ses moments les plus tragiques, il y a toujours un moment où on pourrait ne pas y croire. Parce que ça devient un peu drôle. Par exemple, je me souviens d’un fait divers terrible dont les responsabl­es s’appelaient le gendarme Marchandis­e, le colonel Camion… A chaque article qui décrivait les fouilles menées par le gendarme Marchandis­e, tout le tragique de l’histoire était désamorcé. Comme si les dieux s’acharnaien­t à se moquer de nous, à nous rendre grotesques. Comme s’ils nous disaient “Même votre peine sera tournée en ridicule”.

Les Inrocks – Au moment des attentats, le ministre de l’Intérieur s’appelait d’ailleurs Jan Jambon.

Benoît Poelvoorde – Exactement ! Le mec s’appelle Jan Jambon et il dit des trucs comme “Je vais débarrasse­r

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