Les Inrockuptibles

Napoléon d’Abel Gance

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avec Albert Dieudonné (Fr., 1927, de 2 h 20 à 9 h 40) Si Griffith n’était pas passé avant lui, Gance aurait tout inventé. Il y a Lumière, roi de l’instantané et de l’autochrome, et Gance, grand maître de la polyvision. Un pré-Méliès après Méliès, Jérôme Bosch de l’argentique, maître en triptyque hallucinat­oire. Gance est le conducteur fou de La Roue et son entrée en gare dévaste La Ciotat à tout jamais. Alors de quelle version de Napoléon doit-on parler ? Celle de Kevin Brownlow (7 542 mètres, 5 h 30) ou celle de Bambi Ballard (7 500 mètres, 5 h 28) ? La vérité, c’est qu’on se fout des versions. Il restera le plus grand réalisateu­r du monde du plus grand film du monde. Un critique a dit de lui “pas de talent mais du génie”. Hum… ça veut dire quoi plus grand réalisateu­r du monde ? Cela veut dire qu’il y a un avant et un après, et qu’après c’est le néant. Des balbutieme­nts, des cris de tête et du vent. Voir Napoléon, c’est renoncer. Il faut plier l’échine, s’asseoir dans le noir et attendre la fin du calvaire. Vous n’aurez pas les bras en croix mais vous serez quand même crucifiés. Inutile de voir la version sonorisée : lui-même n’y croyait qu’à moitié, il avait besoin de s’occuper, c’est tout le problème. Regardez sa tête à Abel, son visage, ses yeux. Sa chevelure. Les très très très grands réalisateu­rs ont toujours eu beaucoup de cheveux. Eisenstein, Epstein, sauf Von Stroheim. Lui n’a qu’un Aime à la fin plutôt qu’un Haine. Napoléon, il hait beaucoup de gens, et puis il a des cheveux, longs, sombres, épais. C’est le Samson de la conquête obtuse. Il y tient à ses cheveux, Abel Gance, cela se voit. Il les coiffe en arrière, ils sont soyeux, blancs comme l’argent alors que son crâne vaut de l’or. Il a écrit le scénario de Christophe Colomb, Herzog l’a tourné et Brando a joué dedans. J’ai vu ce film, en rêve. J’ai beaucoup aimé. G. N.

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