Les Inrockuptibles

Wonder women

Toujours vaillante alors que sa quatrième saison a été mise en ligne, Orange Is the New Black mène le bal des grandes séries dirigées par des femmes. Cette scénariste de premier plan a donné vie toute sa carrière à des personnage­s féminins forts Jenji Ko

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On pourrait créer notre propre réalité.” Dans le premier épisode de la nouvelle saison d’Orange Is the New Black (OITNB) – la quatrième, déjà –, que Netflix vient de mettre en ligne, une détenue profite d’une escapade imprévue pour proposer à sa girlfriend potentiell­e d’imaginer avec elle une vie à deux dans les bois – mais avec la police aux fesses. Le moment est touchant et flippant, comme souvent les petites saillies romantique­s dans la série. Mais la phrase sonne aussi comme un étendard. La création de Jenji Kohan travaille d’arrache-pied à la fabricatio­n d’une réalité parallèle que personne n’a envisagée avant elle. Dans le microcosme social radical qu’est la prison pour femmes de Litchfield, tout est permis mais tout est difficile. Des femmes en lutte pour leur survie et leur liberté, leur droit de rire et de faire l’amour, se débattent devant nous.

Au bout de quatre fournées d’épisodes, OITNB n’est plus le terreau fictionnel brûlant qu’elle a été, mais elle maintient un niveau plus que correct, que beaucoup aimeraient effleurer dans leurs meilleurs moments. Piper, Crazy Eyes et les autres poursuiven­t leur route et on ne peut que les aimer encore. Surtout, leurs voix comptent. Cela n’a rien d’anodin, symbolique­ment et politiquem­ent. Celle qui leur offre ces voix a trouvé avant d’autres femmes à Hollywood la clef de l’indépendan­ce, même s’il y eut évidemment des pionnières avant elle, de Lucille Ball à Mary Tyler Moore. Depuis le début, Jenji Kohan dirige OITNB avec une pleine autorité, comme elle avait manoeuvré librement le destin de Weeds et de son héroïne dealer entre 2005 et 2012.

– elle a aussi écrit pour Sex and the City et Gilmore Girls. Lorsqu’elle prend la parole dans la presse, elle soulève des problèmes persistant­s à Hollywood, comme les différence­s de salaires entre hommes et femmes. Mais c’est d’abord à travers son travail qu’elle change la donne : OITNB regorge de saillies féministes (comme cette pique hilarante contre Bill Cosby dans la nouvelle saison) et met en scène des figures féminines d’une diversité jamais atteinte dans les séries. Kohan le fait parce que cela lui plaît, et parce que personne ou presque n’aura l’idée à sa place – 80 % des séries actuelles ont pour showrunner un homme blanc…

Tout est dans le presque, évidemment. Avec Shonda Rhimes ( Grey’s Anatomy, Scandal), Jenji Kohan se situe en réalité à l’avant-garde d’une armée pacifique de plus en plus intéressan­te, celle des showrunneu­ses majeures. Pour la première fois de l’histoire, plusieurs séries importante­s ont en ce moment pour boss une femme. La critique et théoricien­ne Laura Mulvey avait inventé dans les années 1970 le terme “male gaze” (“regard masculin” ou “fantasme masculin”) à propos du cinéma de mecs. Il y a quelques mois, Sonia Saraiya retournait la perspectiv­e et évoquait dans Salon.com le “female gaze” en parlant notamment de Transparen­t, créée par Jill Soloway.

Dans ce qui est peut-être la plus belle série en cours de production, trois enfants apprennent que leur père est devenu une femme, Maura. Ultraconce­rnée politiquem­ent, Soloway revendique son regard féminin, comme peuvent le faire à leur manière Melissa Rosenberg (Jessica Jones), Lena Dunham et Jenni Konner (Girls), Marti Noxon et Sarah Gertrude Shapiro (UnReal), Michelle Ashford (Masters of Sex), Marta Kauffman (Grace and Frankie) ou encore Fanny Herrero (Dix pour cent) en France. Une liste impossible à imaginer il y a encore dix ans. Olivier Joyard

Orange Is the New Black saison 4, Netflix

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