Les Inrockuptibles

Hugues Aufray

San Miguel (1961)

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Dans une interview croisée avec Iggy Pop, il y a quelques années, j’avais dit que le premier disque que j’avais acheté était 1969 des Stooges. C’est exact. Cependant, lorsque j’ai eu mon premier tourne-disque, à l’âge de 9 ou 10 ans, on m’avait aussi acheté des disques que je n’avais pas choisis. Il y avait des choses assez chiantes, des chansons du Moyen Age, des trucs de musique classique et, parmi ces 45t, il y avait celui d’Hugues Aufray et il s’agit donc de la première chanson de variété que j’ai écoutée de ma vie. Je pense qu’on m’avait acheté ça parce qu’y figurait une chanson pour enfants, Stewball, l’histoire d’un cheval, alors que j’ai toujours détesté les chevaux. Mais celle que j’ai écoutée en premier, c’est San Miguel.

On compare souvent à juste titre la chanson à la poésie, mais ici c’est d’une chanson-roman qu’il s’agit. On voit le péon humilié, amoureux de sa maîtresse qui “prend ses valises, ses lettres, ses livres/Et que sais-je encore ?”, il n’y a qu’à développer un peu et c’est un véritable roman. Les gens sont inconscien­ts de faire écouter à des enfants des choses comme ça, qui leur offrent des échappées si crues sur le sentiment amoureux. Au même âge, on m’a offert Graziella de Lamartine. Dans une autre interview, on m’a demandé pourquoi j’étais devenu écrivain et non chanteur, j’ai répondu faiblement à l’époque que je ne savais pas chanter, mais ce n’était pas la vraie raison. Je pense que le disque d’Hugues Aufray est très bon, mais Graziella de Lamartine est un chef-d’oeuvre. Si on m’avait acheté un très bon livre et un chef-d’oeuvre en disque, ça aurait pu être inversé.

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